Chronique sur la croisette #4 : Mimisme, romantisme et imagination

undefined 22 mai 2023 undefined 14h08

Pierig Leray

Et l’on repart en première projection du jour, dès 9h du mat’ pour découvrir le dernier film de Todd Haynes May December. Natalie Portman (Elizabeth) joue une actrice de télé de seconde zone en pleine préparation de son prochain long-métrage. Elle veut s’approprier son futur personnage (Gracie, jouée par Julianne Moore) qu’elle interprètera. Pas de meilleure solution que de cohabiter avec elle pour comprendre son passé, mimer ses tics de visage et son maniérisme verbal. Il y a plus de 20 ans, Gracie, enseignante, défrayait la chronique avec une relation amoureuse avec un de ses élèves (Joe) d’à peine 13 ans au collège, prise la main dans le slip au fond d’une animalerie, le job étudiant de Joe. Drôle, caustique, et joueur, Haynes surprend, et gagne son pari de l’absurde par un processus de mimétisme fabuleux entre Portman et Moore : l’on voit progressivement le visage de Elizabeth coller à celui de Gracie, des détails comme la position des mains, ou une intonation jumelle. Au-delà de ce processus génial, Haynes s’appuie également sur une intelligence narrative très puissante et précise. Un film qui parle allégrement de nos errances, et d'une forme de vacuité de l’âme, avec en image finale, un pauvre téléfilm hyper mal interprété par Elizabeth, embrassant la médiocrité comme élan pionnier d’un désabusement vain.

Le trailer m’avait scotché, et j’avais coché cette séance depuis déjà quelques semaines. Je parle du premier long-métrage en sélection officielle Banel et Adama du réalisateur sénégalais Ramata-Toulaye Sy. Et c’est une bien triste désillusion, en effet, le film semble errer comme une âme en peine, ne trouvant jamais le ton juste (politique ? poétique ? lyrique ?), jamais l’image qui touche, ni l’émotion qui captive. Un premier film loin d’être dénué de bonnes idées de mise en scène (cette fusion amoureuse qui se disloque face à l’incapacité évolutive d’une société captive de valeurs rétrogrades) mais trop léger pour figurer en sélection officielle. Brouillon, sans identité forte, Sy ne parvient jamais à enclencher son film, ni même à porter un discours qui semble ici convenu (le patriarcat et l’indépendance de la femme). Une vraie déception : lorsqu’un trailer touche plus que le film en lui-même, ça fait mal. Je ne trouve pas meilleure idée que d’aller pioncer un coup pour une sieste. Au même moment, les nuages se dégagent et le soleil gagne enfin le ciel cannois. Complètement vampirisé par les salles, et comme un petit animal en quête d’obscurité, me voici à 17h sous les draps malgré la luminosité transperçant ma fenêtre. Jusqu’à ressortir au soleil couchant, pour découvrir avec excitation le dernier film de Michel Gondry Le livre des solutions.

Il restera forcément l’une des meilleures comédies françaises de l’année. Pierre Niney se balade dans ce rôle de réalisateur sociopathe, et Blanche Gardin lui répond avec tout autant de talent comique. Gondry s’amuse de sa propre histoire, grossit les traits d’un artiste imbuvable mais attachant, lie avec humour la loose des débuts, mais surtout la genèse d’une idée, celle qui bouleverse une carrière. Une idée, une inspiration descendue d’un cerveau curieux, qui ne cesse d’additionner dans une folie créative les inventions, pensées, dessins, une multitude d’échecs d’apparence, mais qui nourrissent la réussite future. C’est hyper drôle, une vanne à la minute, c’est tendre, efficace, ça manque bien sûr d’un fond plus solide, et une idée plus tranchée de l’acte artistique pour emporter la mention de grand film. Une pépite de comédie qui fait un bien fou au milieu de la lourdeur des sujets engagés en sélection officielle.

La soirée aurait pu être folle, elle s’est stoppée nette à l’entrée d’un yacht. L’invitation était en poche, mais impossibilité d’y pénétrer pour une question de limite de personnes. C’est la loose, on s’était bien sapés. On y croyait. Mais finalement, pas si écœuré de rentrer avant 1h. Cannes est une course d’endurance, pas de vitesse, je sors donc ma carte Joker du soir. Et au pieu.