Vald : " J’associe le rap, le shit, la soirée… C’est un truc de rappeur de bédave !"

undefined 15 novembre 2019 undefined 13h24

Florin

Huitième saison pour Valentin Le Du, dont le synopsis est plus qu’alléchant : Ce monde est cruel. Un album signature de l’artiste qui se vante d’avoir été « plus mature » ; force est de constater que le contrat est bien rempli. Entre dépression et des potes, Vald se pose une fois de plus au sommet du rap jeu en moins de temps qu’il n’en faut pour dire “disque d’or” et “Bercy” ; l’une des plus grosses salles de France l’attend le 16 novembre. Avant son concert pour la fondation Abbé Pierre à l’Olympia, il nous reçoit en loges, accompagné d’une partie de sa bande éternelle : Suikon Blaz AD, backeur, et Merkus, manager. Une équipe solide qu’il n’est pas près de laisser derrière lui, comme le rap.

Le Bonbon : Tu t’es rangé ?

Vald : Est-ce qu’on est sorti vraiment ? C’est peut-être un album plus mature. Plus que les autres, mais je ne pense pas qu’on se soit rangés. On a voulu être chiants encore. 

L.B. Faire chier différemment alors ?

V. On a une autre vision de la musique, on a d’autres attentes. On s’est rangés du côté de la bonne musique ; on essaye, en tout cas, terriblement.

L.B. Le contrat est fini, six albums passés… les majors, c’est une contrainte ?

V. Nooon, pas de pression ! (Il s’adresse à son manager) Merkus t’as eu de la pression pour finir les contrats ? (Rires) Le projet c’était Bercy, on l’avait annoncé et il nous fallait un album pour aller avec. Le vrai truc, c’était deadline un mois avant le concert. Si on arrive encore avec Xeu sur Bercy, c’est moche – ça fait deux ans qu’on tourne avec. C’était ça l’impératif.

L.B. Le monde est cruel mais qu’est-ce qu’il est d’autre ?

V. Le monde est grand. Un peu d’amour… Dire que c’est cruel, c’est aussi dire qu’il y a du beau. C’est juste une vision. On peut s’échapper de sa vision ; le monde n’est pas cruel. D’ailleurs ce n’est pas le monde qui est cruel, c’est CE monde.

L.B. "NQNTMQMQMB", c’est un clin d’œil au passé, mais aussi un morceau frais avec Suikon Blaz AD qui pose. Comment tu fais le lien entre ça et tout ce qui s’est passé dans ta carrière ?

V. Le switch de la prod’, le pull-up au début, le rock qui se transforme en… je ne sais pas comment appeler ça… en "sub Kanye West" ? Un simple sub. Avec un chien. (Rires) C’était déjà l’esprit de la première mixtape : partir dans tous les sens. À la base, "Ni Queue Ni Tête Mais Qui Met Quand Même Bien", c’est d’abord un écho à la musique et comment je la vois. C’est la réponse sur la vie. (AD précise :) « Pour te dire qu’à l’époque, on savait déjà que ce monde est cruel. Mais on ne savait pas comment le dire. »

L.B. Il fallait que tu passes par tout ça pour enfin aujourd’hui affirmer ce message haut et fort ?

V. Fallait peut-être que je vive… C’est vrai que là, ça m’est apparu comme une évidence, mais peut-être qu’avant, je cherchais une mission. Je suis en train de m’accepter.

L.B. On en vient alors à un morceau des plus intéressants sur toi, "J’pourrai". Tu pourrais, mais vas-tu le faire ?

V. "J’pourrai", c’est un morceau qui fait hommage à notre potentiel infini, à chaque instant. Quand je dis « je pourrais tout faire à tout instant », c’est Vald qui pourrait tout faire n’importe quand. Impossible is nothing. Adidas avait raison. Et quand tu te rends compte que tu peux tout faire et que tu regardes ce que tu fais, t’as envie de faire "Je pourrai". Alors est-ce que je vais le faire ? Je n’en sais rien… Tout dépend du temps, de ce dont tu parles

L.B. Il y a déjà une chose dedans qui semble bien lancée : la bombe AD larguée solo sur le devant de la scène.

V. On va sortir sa mixtape. Ça fait des années que je le mets sur le devant de la scène, AD ! Mais je le dis à qui veut l’entendre : ça arrive. (Rires)

L.B. Et à la fin du morceau, tu dis "je préfère fumer". C’est ça le vrai frein à tout ce que tu pourrais accomplir ?

V. Tout à fait. Je vais laisser la parole à Merkus, qui a deux ou trois phrases à ce propos. (Rires. Merkus s’exprime :) « Il l’a dit. Forcément, on connaît les effets nocifs du THC et que de temps en temps, ça pousse à procrastiner. Dans ce morceau, c’est ce qu’il exprime. Il remet à demain tout ce qu’il pourrait faire. » Il y a déjà ce potentiel infini pour tout le monde, et chez les gens qui ne fument pas, il y en a aussi une chiée qui procrastinent. Là, en fumant, c’est vrai que tu as tendance à te satisfaire de ne rien faire. Mais c’est aussi une vision de la vie : combien de moines se posent le cul par terre et ne bougent plus ? Pour eux, c’est ça le plus grand bonheur. Donc oui, je vais un peu moins vite dans la musique quand je fume, au grand dam de Merkus.

L.B. Est-ce que tu pourrais arrêter ?

V. J’espère bien. C’est un comportement déviant quand même. C’est un nuage sur ton antenne… et dans la pièce. (Rires) On est des antennes et on doit recevoir et émettre sur le monde. Le shit amène un nuage sur cette antenne. Obligé d’arrêter quand j’écris, sinon je ne peux pas. Parce que j’ai pas de concentration. Comme n’importe qui ! Tu l’as vue la vidéo de l’araignée qui tisse sa toile sous le cannabis. C’est mortel au début, et puis elle abandonne. Flemme. C’est à cause de la concentration.

L.B. Dans ta musique ça ne se reflète pas.

V. Non, parce que je ne peux pas faire une musique quand je fume. J’en parle quoi. C’est sûr que si je ne fumais pas, je n’en parlerais pas dans le morceau. J’associe le rap, le shit, la soirée… C’est un truc de rappeur de bédave. Soit tu la vends, soit tu la consommes, soit tu en parles. Tout le monde fait ça. Snoop Dogg il a fait 30 ans de carrière là-dessus et il continue. Parce qu’on peut parler du nuage sur ton antenne, mais c’est aussi un beau moment.

L.B. Une autre phrase : "Elle veut que je quitte le jeu rien que pour elle."

V. Sacrément égocentrique.

L.B. Un autre frein ?

V. Les meufs ? Non. Mais c’est une demande récurrente des gens qui croisent ma route. « Peut-être que si t’avais une autre vie, ça serait plus facile. » Mais c’est sacrément égocentrique d’arrêter mon métier qui nique tout pour toi. Ça va pas ?!

L.B. Seezy (un de ses beatmakers, ndlr) prévoyait en février un album plus happy, plus joyeux. On en parle ?

V. De ses prévisions ? Il n’avait pas totalement tort là-dessus non plus. C’est quelqu’un de déprimé, Seezy. Moi, j’ai fait le point là-dessus à cause de toutes les interviews, c’est là que je me suis rendu compte que c’est d’abord le compositeur qui est sacrément dépressif, et le reste suit. Mais, au contraire, je ne trouve pas que ça soit un album si triste. Il y a beaucoup de rayons de soleil. "Ce monde est cruel", "Keskivonfer", "Rappel", "Je pourrai"… Il y en a toute une chiée. "Ma star" ! Il y a une sensibilité de jazzman sur cet album, tu peux le retranscrire. La vie, c’est une longue dépression clairsemée de rayons de soleil. Avant même d’être une dépression, c’est une déception. C’est terriblement décevant.

L.B. La dépression, c’est un peu le mot d’ordre depuis quelques temps. Comment tu la ressens, comment elle se manifeste ?

V. Je fume du shit, je regarde YouTube, je fais du rap… Tu es juste dans un déni, tu ne te bats pas. Il faut accepter, il faut avancer. Mais c’est décevant et dur. Je sors dehors, c’est l’asile.

L.B. On peut quand même se complaire dans sa vie dépressive.

V. C’est une raison de vivre géniale ! Pourquoi t’es en vie ? Bah je déprime. C’est plus la déprime que la dépression. On se forge dans nos problèmes, on se complait terriblement. "La souffrance, c’est sacré, on ne la donne pas n’importe comment." (Rires) Là, je suis border.

L.B. Qu’est-ce que tu retiens de positif de
tout ça ?

V. Tout est terriblement positif : faire de la musique, c’est génial. C’est une sacrée réponse à la vie. On n’est en vie pour rien, ça n’a pas de sens, en attendant on fait de la musique. Et pas de la musique chiante ; on fait quelque chose qui donne envie de chanter, de sauter et de rigoler… Et de réfléchir ! Que les gens disent « ah les batards ! ». Même les morceaux les plus durs sont positifs. Il y a toujours des gens qui vont vibrer.

L.B. Tu rêves quand même de partir, tout quitter ? Ça serait quoi ta retraite idéale ?

V. Aller vivre à la frontière peut-être. Rocking chair, YouTube… (Rires) Rester dans la prod’. Derrière de nouveaux artistes, derrière mes gars. Il n’y aura pas vraiment de retraite.

L.B. Tu disais il y a un an : « Je suis une blague qui a mal tourné. » Aujourd’hui, la blague s’est arrêtée ?

V. Je crois, oui. Il y a un malentendu qui a perduré, ça nous a ramené un sacré flux que j’ai envie de respecter. Évidemment, ce n’est plus une blague aujourd’hui.

L.B. Et « je trouve ça drôle d’avoir réussi à être plus vrai que d’habitude », pourquoi "vrai" ? Qu’est-ce qu’il y avait de faux avant ?

V. J’ai l’impression que c’est plus précis ce que je dis. Que je suis plus pointu dans ma proposition.

L.B. C’était ta quête ?

V. Évidemment ! J’avais envie de dire des trucs qui sont véritables pour moi. "Je sais pourquoi tu es dépressif / Où tu achètes c’est excessif" : c’est terriblement vrai. Ce monde est cruel, c’est vrai. Mon objectif à chaque son, chaque sortie, c’est d’être surprenant. De faire kiffer les gens de la communauté. Pour la huitième saison, on s’est dit « on la joue vrai ». Public Enemy, Ce monde est cruel, on peut changer les choses, "Pensionman" est là. C’est un régal.

Vald - Ce monde est cruel

En concert le 16 novembre

à l’AccorHotels Arena