La structure du film est très originale, en deux parties bien distinctes. Est-ce que vous avez pensé le film comme un diptyque ? Et pourquoi ne pas avoir fait deux films ?
Dès le début de l'écriture du scénario, je pensais à cette structure. Il est essentiel que Sohee meurt en plein milieu du film, pour qu'on comprenne comment elle en arrive là, mais aussi quelles conséquences sa mort va avoir. Je voulais qu'on comprenne bien les rouages de ce système qui produit des drames de ce genre à répétition.
Justement, le film est très politique. Qu'est-ce que vous voulez dénoncer en particulier ? Est ce que c'est l'administration, le système éducatif, est-ce que c'est le système capitaliste dans son ensemble ? La loi du profit ? Quel est le vrai thème ?
Le système, l'éducation, le capitalisme… je ne sais pas, je n'avais pas envie de dénoncer, ou de résoudre quelque chose, ce n'est pas tout à fait ça. Ce qui m'importait le plus, c'était de traduire ce sentiment de distance par rapport aux responsabilités, le fait que tout le monde se rejette la faute, qu'on fuit devant les responsabilités. Pour moi, c'était plutôt important de rappeler qui nous sommes, en fait.
Vous savez, cette affaire s'est réellement déroulée en Corée du Sud. C'est une histoire vraie, donc il fallait que je décrive les circonstances qui ont entouré cette affaire, et donc la structure de la société, du système d'éducation coréen. Ce drame n'est pas arrivé par hasard. Je voulais évoquer les maux de la société coréenne dans son ensemble, par le détail. Comment se fait-il que des étudiants doivent travailler dans de pareilles conditions ? Voilà, ça c'est quelque chose que je voulais vraiment dénoncer dans le film.
Le cinéma coréen est en plein essor ces dernières années, depuis un certain temps déjà, mais particulièrement depuis, par exemple, le succès de Parasite qui a été mondial. Comment expliquer ce coup de projecteur, ce focus un peu soudain sur le cinéma coréen ?
Je ne pense pas que l'ouverture culturelle vers la Corée se soit faite d'un coup, c'est plutôt une accumulation de productions qui cartonnent depuis quelques temps. Ça passe par exemple par BTS, le groupe de K-pop qui est mondialement connu et grâce auquel la culture coréenne n'est plus quelque chose de complètement étranger (sourire), et puis là, comme vous dites, Bong Joon-ho et tous les autres réalisateurs qui faisaient déjà des bons films. Mais la particularité de Parasite, c'est que c'est quelque chose de typiquement coréen, et donc un élément déclencheur qui a fait exploser ce phénomène dont vous parlez.
Malgré cette évolution positive, vous restez l'une des rares réalisatrices de films coréens. Comment s'opère le patriarcat dans le cinéma en Corée, et dans la société en général ?
Pour mon premier long métrage, j'ai eu de la chance. Avant d'écrire mon premier scénario, j'ai eu un travail sur le terrain, sur les plateaux de tournage, mais je me sentais inutile, je n'étais pas acceptée parce que j'étais une femme, déjà un peu âgée, je ne trouvais nulle part ma place. La seule façon d'intégrer ce domaine, c'était d'écrire un scénario et de devenir réalisatrice, et j'ai eu la chance de pouvoir le faire, ça fait déjà dix ans. Je ne sais pas si c'est toujours le cas aujourd'hui. Mais ce qui est sûr c'est que les histoires dont le personnage principal est féminin, ce n'est pas vraiment accepté dans le de cinéma mainstream, mais c'est ce qui me fait exister en tant que réalisatrice dans le système du cinéma coréen.
Quelles sont les questions que vous aimeriez traiter à l'avenir dans vos films ?
J'évite généralement de répondre à cette question, mais je vais vous répondre cette fois, bien que ça n'engage pas du tout l'existence d'un futur projet là-dessus, mais j'ai envie de m'occuper d'une émotion bien précise, la haine.
Ok donc quelque chose de violent alors ?
Non pas forcément. Parfois, selon notre nature, on peut se sentir attaqué par exemple, sans qu'il y ait aucune violence.
Est-ce que vous avez l'ambition de faire un film international ?
Oui j'aimerais bien, mais en même temps je ne maîtrise pas les langues étrangères. Donc mes personnages principaux, ils vont parler en coréen et puis ça va se passer en Corée, mais en même temps j'aimerais vraiment faire une coproduction avec d'autres pays parce que la sortie de About Kim Sohee à l'international, la promotion et tout le processus qui l'accompagne, ça me donne envie de sortir de ce petit cocon qu'est le cinéma coréen.
Quel est le film qui vous a donné envie de faire du cinéma ?
Je ne connais pas le titre original. C'est un film de Louis Malle dans lequel Juliette Binoche joue une femme qui a une relation avec son père. Mauvaise fille ? Non non, c'est pas ça, c'est un film de Louis Malle, qui date. Fatale (après recherche google, ndlr) ! J'avais 13-14 ans, je n'avais pas grand-chose à faire à l'époque et du coup je suis allée au cinéma et je l'ai vu trois fois de suite, c'était un film pour adultes et en langue étrangère, et du coup je ne comprenais pas grand-chose à vrai dire mais c'est juste que j'étais presque suffoquée par le gros plan sur Juliette Binoche, son visage, et je ne pouvais pas sortir de la salle, son image m'obsédait en fait… C'est un film dont presque tous les Coréens se souviennent. Mais c'est un film un petit peu sexy. Oui, vous voyez, ça m'a marquée.
Quelle est votre ambition en tant que cinéaste ? Qu'est-ce que vous voulez faire ? Est-ce que vous voulez faire rêver les gens ? Est ce que vous voulez les interpeller ?
Je veux devenir une bonne réalisatrice. Jusqu'à présent, j'écris mes scénarios, je réalise… ça prend beaucoup de temps, donc je ne pense pas devenir une réalisatrice très prolifique. Mais pour chaque film, je mobilise toutes mes capacités, et je pense qu'en faisant ça, je peux devenir une bonne réalisatrice.
About Kim Sohee, de July Jung
Sortie le 5 avril