Le film s'ouvre en plein désert de la banlieue de Los Angeles ; un gros type suant doit trimballer un éléphant au sommet d'une montagne. On comprend assez vite et après qu'il a déféqué à grandes eaux sur un pauvre Mexicain que le pachyderme est destiné à constituer l'attraction principale d'une fête aux proportions dantesques. Au milieux des gens qui baisent, qui s'envoient des cocktails aux noms stylés et qui se défoncent à toutes les drogues existantes, nos futurs protagonistes se dévoilent.
Le jeune Diego Calva d'abord, révélation de ce film, employé comme homme à tout faire par le propriétaire des lieux, un ponte de la nouvelle industrie du cinéma. Il faut préciser que nous sommes dans les années 20, et que les studios de Hollywood ne ressemblent alors qu'à une vaste plaine désertique meublée de décors faits de bric et de broc. C'est pourtant bien là le vrai sujet du métrage, l'excitation, le rêve, la magie qu'engendre cet art encore mineur mais déjà si populaire que chacun veut le toucher du doigt, est attiré par lui comme la phalène par la lumière, quitte à s'y brûler les ailes. Ce beau papillon de nuit prend ici les traits de la sublime Margot Robbie, époustouflante dans ce rôle de jeune première survoltée mais talentueuse, et qui ne vit que pour briller. Quelle débauche d'énergie, de sensualité, de beauté pure ! Quel talent ! Elle est celle qui symbolise le mieux le souffle qui parcourt le film entier, parfois si dense et outrancier qu'il peut fatiguer.
À l'opposé du spectre des personnages tous ivres de débauche qui composent aussi bien l'assistance de cette soirée d'ouverture que la substance humaine du récit, Brad Pitt sirote un Mint julep en recevant les compliments des quidams qui le croisent. Il est une star établie, au firmament de sa carrière dans le cinéma muet, au bord du précipice sans en avoir encore conscience. Portant sa classe innée en étendard du cool, il écoute avec attention et en connaisseur l'orchestre mené par Sidney Palmer, un trompettiste noir incarné là aussi avec brio par l'excellent Jovan Adepo.
La soirée finit par se terminer et le film par commencer : désormais et pendant 2h30, il ne sera plus question que de cinéma, des allées et venues, succès et échecs, grandeurs et désespoirs de nos quatre personnages qui se croisent sans jamais se coincer, papillons voletant avec indolence dans une lumière qui finira par les consumer. Car après la fureur des roaring twenties, le tournant du parlant va avoir raison de nos bêtes de scène. On pense inévitablement à Chantons sous la pluie, qui sera d'ailleurs cité en référence dans la toute dernière séquence du film, mais également à The Artist, la petite moustache seyant aussi bien à Jean Dujardin qu'à Brad Pitt.
C'est donc une histoire bien connue qui nous est contée là, mais Damien Chazelle le fait avec un enthousiasme et un amour de son art tels que les 3h08 qu'il prend à le faire passent sans qu'on s'en aperçoive. Sa maîtrise de la temporalité, de l'image et du son, en un mot sa maestria cinématographique, se transforment sous nos yeux en un hommage à la puissance émotionnelle sans commune mesure : on est touché par le destin des protagonistes de l'histoire, mais on l'est encore plus par l'amour et la reconnaissance que Chazelle déclare au cinéma.
Babylon, de Damien Chazelle
Sortie le 18 janvier