[Chronique berlinoise #1] Berlinale 2023 : Gynéco, boite de nuit et mièvrerie

undefined 20 février 2023 undefined 16h23

Pierig Leray

La 73e Berlinale s’ouvre, et avec elle son lot d’excitation cinéphile. Mais aussi, tout comme le festival de Cannes l’année passée, avec le poids d’une certaine responsabilité. Celle d'être vecteur à sa hauteur d’une solidarité envers l’Ukraine envahie (et une nouvelle apparition du président Zelensky lors de la cérémonie d’ouverture, sous le regard perçant du BHL américain, Sean Penn), et plus généralement d’un engagement contre toute forme d’inégalitarisme. Cette année, c’est Kristen Stewart en queen du jury qui présidera, bien entourée notamment de Johnny To, Radu Jude ou encore Golshifteh Farahani. En évènement, l’hommage à Steven Spielberg et une rétrospective à son honneur autour de The Fabelmans en salle ce mercredi. Il faudra éviter les pièges (la teuf et son kebab du petit matin), jongler entre saucisses et curry, et tenter autant qu'on peut d’en tirer une chronique berlinoise pas trop imbibée des litrons de bière qui dégoulineront, et garder les yeux ouverts : ce défi parfois insurmontable de festival. C’est parti pour 5 jours de Berlinale. Prost !

Déglinguer le mini-bar fut mon premier acte héroïque dans une forme de digression parentale. En cause, une arrivée très tardive, une fatigue extrême et une flemme d’enfer. Rien à foutre des noix de cajou à 10 balles, je fais all-in d’entrée de jeu dans un élan d’optimisme budgétaire. Traumatisé par la billetterie en ligne cannoise toute pourrave avec des billets qui s’écoulent en quelques secondes, mon lever doit être à l’ouverture en ligne à 7h du mat'. Mais rien à dire, les Allemands sont au-dessus. Putain ça marche. Tellement bien que je peux me gaver de toutes les séances ardemment désirées. Direction les accréditations dans un vent (glacial) et une certaine bonhomie qui ne me caractérise pas. Pas de queue, organisation mathématique, en quelques secondes, là encore, rien à redire. On est parti pour la première projection de cette Berlinale avec Notre Corps de Claire Simon (avec en tête son merveilleux dernier film Vous ne désirez que moi). Pendant près de 3 heures, Simon nous place en observateurs externes d’un service hospitalier de gynécologie. Le ton est résolument médical, pédagogique, presque trop car dénué d’esthétisme cinématographique (mais l’inverse aurait pu lui être reproché). Notre regard jamais invasif accompagne tout le processus de maternité, avec ses peurs et douleurs (endométriose, accouchement) ses espoirs et désillusions (FIV), mais ne tombe jamais dans le sensationnalisme. Passionnant, même peut-être trop distant ?

Après cette immersion hospitalière, et une longue balade le long de l’East Side Gallery pour digérer un Pho qui arrache (chez Umami), on retrouve le projet ambitieux de Patric Chiha, La bête dans la jungle. Immense par sa forme, ce huis-clos transgénérationnel dans une boîte de nuit parisienne traverse les âges : de l’insouciance des années 70 à l’hécatombe du SIDA des 80's jusqu’à la minimale sous MD des années 2000. Mais aussi par sa métaphore de l’amour impossible, du temps qui s’écoule, des nuits que l’on espère sans lendemain, et cette fameuse insouciance qui peut un jour se payer comptant. La bête dans la jungle, c’est un couple, May et John, qui se promettent de ne pas se quitter, sans jamais se toucher. Ils attendent ce "quelque chose", un événement qui bouleversera leur vie, inconscients d’un monde qui change, d’un temps qui passe, d’une éternelle insatisfaction les empêchant d’avancer. Par sa mise en scène virtuose, Chiha vient d’envoyer un missile protéiforme, une dinguerie intemporelle où danse et musique omniprésentes en font un ovni cinématographique hors du temps, alors que lui qui s’en amuse (malgré les années qui s’écoulent, les visages sont immaculés, jamais vieillis). C’est une grosse mandale en pleine poire, pour preuve, le silence religieux et sidéré de la projection presse, bien conscients d’être face à une œuvre majeure qui marquera 2023. Pour se donner un semblant de moral, on bouffe vegan chez Frea avant d’écumer les bas-fonds tabagiques du Trésor puis du Golden Gate, ma façon bien tapageuse de prolonger cette dernière projection, devenant à mon tour une bête dans une jungle berlinoise électrifiée.

L’enfer du réveil, ma nuit a bien un putain de lendemain. Et il fait mal. Pire, comment ai-je pu imaginer bouffer indien (chez Amrit) pour combattre la gueule de bois ? Erreur fatale. La journée bien raccourcie m’amène à découvrir le film d’ouverture She came to me de Rebecca Miller. Et c’est une ouverture de festival bien légère avec cette comédie feel-good qui appuie les clichés (la maniaque, le dépressif, la fofolle et le facho) pour tirer le rictus, l’amour de jeunesse la larmichette. Petit film dépressif sans âpreté qui ne dépasse jamais l’attendu (et notamment son plan final couru d’avance), ni même ne cherche à bousculer un politiquement correct étrange de tiédeur. Ça ressemblait plus à un film couette du dimanche soir qu’une ouverture de Berlinale. En parlant de couette, il est 22h, et j’y suis déjà, trop de dommages collatéraux de la nuit passée, il faut récupérer. To be continued (prochaine chronique ce mercredi).