Blonde, qu'est-ce que c'est triste, mais qu'est-ce que c'est beau !

undefined 3 octobre 2022 undefined 16h27

Louis Haeffner

Il faut commencer par dire une chose très importante sur Blonde, c'est qu'il est très long. 2h40 d'une longue et permanente descente aux enfers, sans aucun réel instant de bonheur pour venir égayer un peu le métrage, c'est dur. Il fallait oser, et c'est bien le parti qu'a choisi de prendre Andrew Dominik, lui qui est coutumier du fait – on se rappelle vaguement que son Assassinat de Jessie James par le lâche Robert Ford avait plus ou moins les mêmes caractéristiques, celles d'un film dont la longueur permet de déployer des trésors de mise en scène, avec des séquences d'une grande beauté formelle. 

Là où le film choque, c'est par son propos. Il donne en effet à voir une version de Marylin Monroe essentiellement, voire exclusivement, présentée comme une victime. Ça commence dès l'enfance, avec une mère abandonnée par son mari, très vite internée après avoir tenté de noyer sa fille. La petite Norma Jeane concevra dès lors une fascination pour ce père qu'elle n'a jamais connu, une carence affective qui la poursuivra toute sa vie, et dont l'ombre obscurcit le film comme un vautour plane au-dessus d'un naufragé en manque d'eau. Très freudien tout ça, comme d'ailleurs le reflexe qu'a Marylin d'appeler tous les hommes de sa vie "daddy". 

Mais si le film n'est finalement qu'un long portrait en forme de chemin de croix, il convient de préciser que le spectateur le parcourt dans un état d'émerveillement permanent, aussi paradoxal que cela puisse paraître. En alternant la couleur et le noir et blanc, le format carré et le 16/9, les plans serrés et les travellings avec maestria, Andrew Dominik propose un métrage qui tient plus de l'œuvre d'art que du basique biopic. Et si la chronologie des événements s'établit de façon linéaire, le film se compose comme une succession de moments d'intimité filmés avec une incroyable sensibilité et un souci de la mise en scène à chaque fois renouvelé. 

On comprend dès lors ce que le réalisateur a voulu faire, et qu'il a parfaitement réussi : laisser à Ana de Armas – dont on ne louera jamais assez la phénoménale performance – le soin de composer un personnage dont la grande beauté est mise en contraste permanent avec l'indicible souffrance qu'elle éprouve au quotidien. Et c'est bien là que se niche la satire sociale et le féminisme du film : Norma Jeane crée Marylin pour satisfaire les attentes des hommes qui la désirent, l'emploient et l'exploitent, et son immene succès ne se mesure qu'à l'aune de son infinie tristesse. 

En choisissant de dresser le portrait d'une femme en quête permanente de la reconnaissance de son existence propre, Andrew Dominik fait de Marylin Monroe un symbole, celui de la femme-objet, jouet d'une époque où culminent les principes du patriarcat. Mais il propose aussi un objet filmique unique dont la beauté formelle n'a d'égale que la dureté du propos, un film si beau mais si triste qu'il en devient difficile à regarder, comme le regard d'un enfant condamné à la misère et qu'on ne peut soutenir. 


Blonde
, d'Andrew Dominik

Disponible sur Netflix