[Chronique cannoise #3] Nonne en chaleur, gilet jaune et poésie noire

undefined 11 juillet 2021 undefined 14h50

Pierig Leray

Drôle d’évolution. Je rencontre Alfred, un chanteur et compositeur français qui m’était inconnu. Il sort son premier album le 27 août, « le temps qui passe », et m’accueille en fin de showcase pour discuter quelques minutes. Baigné par Chopin et de culture cinéphile tout gamin, il construit ses compositions dans un mixte improbable de musique française, hip hop et mélodie classique au piano, sa voix parfois vocodée. Quand je lui parle de musique de film, il me dit ne pas encore être prêt. Ses textes sont eux bien loin d’une quelconque dénonciation sociétale ou politique, mais plutôt une auto-thérapie par l’écriture, sa manière d’exprimer ses émotions les plus profondes. Je vois pleins de sosies de célébrités, mais en moche évidemment. J’adore ce jeu, surtout à Cannes. D’ailleurs, ça m’agace cette manie de la chasse aux stars par certains journalistes cinéma, oubliant souvent le fond pour un selfie bien cadré. Aller écouter le vide de Matt Damon plutôt que d’écumer les sélections parallèles. Faire les conférences de presse poser les mêmes questions, pour mieux prendre la bonne photo Instagram. Ça me fatigue. Nous allons d’ailleurs discuter de ce sujet, et bien d’autres, demain avec Yal Sadat, journaliste au Cahiers du cinéma, et Laure Vermeersch de l’ACID. On m’a promis une fête « avec des gens du cinéma » dans une villa. Hyper excité. Mais putain, je n’ai plus le rythme. Je suis vieux. Un peu chiant je crois. je n’arrive même pas à tenir le prochain SMS avec l’adresse. Que je m’effondre. Il est 23h. Flippant. 

La course reprend dès 8h30 avec le tant attendu Benedetta de Paul Veroehven. Je ne cache pas ma déception, moi qui m’attendait à une vague épidermique, du bouillant, et du pervers. Je me retrouve avec un film bien trop long, parfois drôle, mais souvent grotesque, qui n’arrive jamais à dessiner son chemin propre entre un second degré pas totalement assumé, et un réalisme en carton. Le film décolle par moment, avec quelques envolées géniales, mais ne trouve jamais le bon rythme. Pour rappel, c’est l’histoire d’une nonne qui prétend voir son Jésus chéri partout, s’auto-mutile pour jouer les saintes, et commence à forniquer avec une jeune petite bonne sœur qui débarque. Il y avait de quoi faire mieux de cette histoire vraie. Comme un goût d’inachevé, malgré une excellente Virginie Effira. A vouloir provoquer, choquer, il finit dans un conformisme inattendu. A peine sorti le temps d’un Espresso, et sans aucune transition possible, je me retrouve devant La fracture de Catherine Corsini. Les problèmes soulevés sont connus, un hôpital français publique à l’agonie, un accès à la santé d’urgence digne d’un pays du tiers-monde, nous la France, se targuant du fameux meilleur système de santé au monde, les violences policières, et la fracture justement plus profonde qui divise la population française schématiquement présentée ici par le prolo joué par le fabuleux Pïo Marmaï (meilleur acteur français actuel) et la bourgeoise lesbienne par Valeria Bruno-Tedeschi. Autour de l’humour surprenant qui nait de cette rencontre, c’est surtout l’humanité que dégage le film qui captive, entre infirmières et patients, docteurs et gilets jaunes, les ségrégations sociales s’évaporent le temps d’une nuit aux urgences. Même si Corsini force le trait, il me semble que l’excès fait parti de son parti pris, elle m’a définitivement conquis. Au delà du message attendu, et donc pas le plus intéressant, la mise en scène et l’écriture de personnages forts et attachants, y compris celui de Marina Fois en bobo frigide emportent le film dans un élan de générosité et d’humanisme qui m’a beaucoup touché. Même si je suis très émotif, une bonne publicité Milka et je suis capable de m’effondrer. Donc, face à un écran, je suis bon public niveau émotion. Mais tout de même, j’essaye d’être arbitraire. Et cette Fracture est douloureuse et réconfortante à la fois. Comme un shoot d’Oxycontin dans une plaie béante.

Putain ça enchaîne. Je vais peter un câble. Mais j’ai un élan de folie, en mode furie cinéphile, incontrôlable excitation culturelle. Je n’arrive pas à me poser. Ni manger. C’est parti pour la quinzaine des réalisateurs avec Murina de Alamat Kusijanovic. Ça consomme du film comme un vilain pop-corn jaunissant, et moi qui critique l’enchaînement abusif des daubes sur Netflix. Pas mieux ici, hormis tout de même la qualité du cinéma proposé. Et toujours cette quête irrationnelle de l’émotion, ne pas passer à côté « du film » qui marquera la quinzaine. C’est bête, mais presque automatisé. Bref, je dérive. Revenons à Murina, littéralement murène en croate. Et c’est une nouvelle opportunité de découvrir un portrait d’une jeune femme, qui tente de s’extirper de la violence et la soumission imposée par un père colérique. Cela détonne avec le cadre somptueux des îles désertes croates, la mer comme principal cadrage, et des scènes de plongées sublimes. La tentative d’appropriation d’un corps, d’une personnalité face à la domination du père. La question de la filiation est aussi soulevée, là encore des thèmes nombreusement approfondies au cinéma. Mais la manière, et surtout l’intelligence du cadrage sort le film d’un ton parfois trop sirupeux. Quel plaisir de voir une nouvelle génération de cinéaste qui, chacun par leur trait tente d’extirper d’une même essence un sens nouveau. 

L’après midi se termine avec le film de Samuel Benchetrit Cette musique ne joue pour personne. Et putain j’ai kiffé. Benchetrit associe tout ce que j’aime, ce petit fourbe. De la poésie à la Jarmush, de la violence froide à la « C’est arrivé près de chez vous » jusqu’à l’humour troisième degré de « Dikkenek ». Hyper bien joués (Macaigne, Kervern, Damiens) si l’on met de côté le pantin Joey Starr qui peine à lire son texte, cette petite merveille acide se déguste avec délice, c’est drôle, fin, et l’écriture de Benchetrit suspend le film dans une zone grise, entre poésie moderne et fait divers régional. Je vois déjà la critique du regard prétencieux et bobo du parisien face à une province forcément laide et ringarde. Ce serait je crois minimiser le film, qui n’est certes pas à un chef d’œuvre soyons clair, mais étrangement une vraie bouffée d’air crade et tabagique au milieu des films anxiogènes qui l’entoure en sélection. Comme cité plus tôt, on pense rapidement à Paterson de Jarmush. Mais à la franco-belge, chauve, en jogging dans le salon à changer l’huile de la friteuse. Tout ce que j’aime.

Enfin un peu de monde à Cannes. La preuve ? Impossible de trouver un resto. Ca me réjouirait presque. La suite dès demain amigos.