Après un McDo de la honte, on se bouge les miches pour découvrir Renoir de Hayakawe Chie au Grand Théatre Lumière. Et que de douceur, mais attention sans naïveté ni maniérisme, la caméra de Hayakawe suit les pas de Fuki, une Fuki « des esprits », qui flotte en apesanteur au-dessus de la douleur, du danger qui rôde et de l’appel de la mort. La réalisatrice japonaise arrive avec un talent certain à se dégager avec élégance du cliché de l’enfant naïf et prend le temps de construire avec grâce la personnalité unique et pacifiste de cette Fuki, modèle pour un monde adulte qui ne cesse de se replier dans la douleur et la déviance, elle qui s’en détache avec une étrange maturité, presque irréelle, sa présence quasi fantomatique envoûtante et apaisante. Là encore, on pourrait geindre et se plaindre d’un manque de relief, mais l’importance est ailleurs, par la caractérisation de l’enfance par la distance, de l’immaturité par la maturité, et donc, un contre-point cinématographique essentiel et détournant la traditionnelle vision de l’enfance ingénue. Il y a donc avec Renoir une double sensation, à la fois celle d’une hauteur (dont fait indéniablement preuve Fuki par rapport à la disparition de son père), mais aussi d’un ancrage au réel (car c’est bien le discours philosophique qui la fera plonger dans les bras d’un pédophile, et non sa caractérisation d’enfant). Bien que cette partie soit accessoire et très mal agencée, le film s’en sort plus par l’intelligence de sa lecture de l’enfance que par ses réelles qualités de mise en scène. Mais clairement, on ne l’attend absolument pas au palmarès.
On enchaine en compétition officielle avec le film de Richard Linklater Nouvelle Vague, faux making-of du premier long-métrage de Jean-Luc Godard À bout de souffle. Exercice plus que casse-gueule, ça pouvait facilement tourner au fiasco avec du faux Godard et du faux Belmondo, sorte de vieux pastiche rabougri qui refoule le fan-film. Mais c’était sans compter sur la pertinence absolument remarquable du regard de cinéaste de Linklater sur un autre cinéaste, Jean-Luc Godard. Et hormis son côté archi-documenté avec une multiplicité d’anecdotes réjouissantes à découvrir, la vraie réussite du film est d’avoir évité de copier Godard, mais plutôt d’en avoir invité un, un modèle unique, celui fantasmé par Linklater et personne d’autre ; c’est donc un hommage sans en être un, une réalité qui n’en est pas une, ce Godard-là n’a jamais existé, il est ce que Linklater en fait, un mythe très personnel qui n’existe qu’à travers ses yeux. Le reste, les autres, les acteurs, producteurs, techniciens, metteurs en scène de la Nouvelle Vague, gravitent autour de cet aimant Godard/Linklater et n’existent finalement qu’à travers ce double regard. Tout est certes très consensuel et linéaire dans cette succession de plans de tournage, mais le film déborde d’une énergie communicative et jouissive qui jamais ne tombe dans la caricature ou le forçage historique, le ton est juste, mesuré, et bienveillant sur une époque qui a marqué l’histoire du cinéma mondial. Là encore, et pile à l’image de toute cette sélection officielle jusqu’à présent, de réelles qualités, une homogénéité avec beaucoup de réussites, mais toutes relatives (hormis la claque Sirat d’Oliver Laxe).
Pour finir cette 4e journée, le film très attendu également en sélection officielle de Lynne Ramsay Die, My Love. Et il fallait bien que ça tombe, le four de la compétition, espèce de machin cinématographique poseur et forcé, avec une Jennifer Lawrence en sur-jeu permanant, un Robert Pattinson paumé lui répondant, un film à la violence gratuite et idiote, vulgaire et grossier, à la mise en scène absente, appuyant sur des évidences sans aucun sens de la mesure ou de la suggestion, tout est appuyé (les paquets de préservatifs pour une tromperie en exemple), la fin est franchement grotesque et malaisante. Le thème abordé était lui passionnant (la dépression post-partum après l’arrivée d’un enfant chez la femme), mais dès le départ, avec un jeu sonore (notamment sur le niveau de l’intensité) agressif, et une violence automatisée, rien ne va, il n’y a même aucun travail psychologique d’écriture des personnages, la femme interprétée par Lawrence n’est qu’un pantin autodestructeur décérébré, une femme qui ne pense pas, une femme qui ne réfléchit pas, un souffre-douleur sans âme qui ne cesse, soit d’aller mieux, soit d’aller plus mal, avec un incessant aller-retour qui en plus, appuie une forme de redondance pâteuse et ennuyeuse. Die, My Love, le nanard de la compétition, et incompréhension totale en salle de presse où le silence pesant à la fin du film fut un signe clair et imparable de son rejet.
Allez, pour oublier ce raté, on retrouve les copains pour descendre quelques bières, se lancer dans un micro-trottoir en pleine nuit cannoise ("Quelle est votre scène de sexe culte au cinéma ?", vous avez 10 secondes), la porte se referme devant nous au Silencio (une soirée Lacoste archi privée, rien à faire), et on rentre, mine basse, se pieuter en espérant un meilleur lendemain.