Chronique cannoise #4 : Kamoulox, Limonov et Fanfare

undefined 20 mai 2024 undefined 13h27

Pierig Leray

Dans cette partie de kamoulox improbable (comédie musicale, cartel mexicain, transidentité), Audiard certes ne se casse pas la gueule, mais n’arrive pas non plus à nous emballer, et reste finalement très à distance de l’enjeu principal du film (la transition d’un baron de la drogue d’homme à femme et à travers ce changement de genre, un revirement moral) pour le noyer dans des enjeux narratifs douteux et vraiment pas passionnants (tous ces allers-retours pour trouver un chirurgien, le déplacement de sa famille de Suisse au Mexique,…). Il y a certes quelques envolées grâcieuses, notamment un dernier quart d’heure poignant et sa fin formidablement réussie, mais il est déjà trop tard, l’heure 45 passée ne convainc pas assez pour s’enthousiasmer. Alerte déficit de charisme pour le personnage principal (Zoé Saldana) face au formidable duo Selena Gomez et Karla Sofia Gascon largement sous-utilisée, sur laquelle tous les enjeux auraient dû se focaliser. Pompeux et volatile, Emilia Perez malgré tous ses artifices reste finalement dans une trame convenue, linéaire, les compositions musicales de Camille sont dans le ton, peu marquantes, et l’on reste sérieusement dubitatif par rapport à l’emballement critique autour du film.

La compétition officielle semble pour le moment bien pâlichonne face à l’exceptionnelle année dernière, mais qui sait, peut-être que notre chouchou Serebrennikov va réveiller tout ça ? Nous voilà donc pour la montée des marches de Limonov de Kiril Serebrennikov. Toujours défendu à travers ces lignes depuis Leto déjà en compétition en 2018, Serebrennikov est un metteur en scène qui ne laisse personne sur la touche ; on peut être épuisé par sa forme grandiloquente et théâtrale, comme être fasciné par la puissance notamment de ses plans-séquences, et de ce touche-à-tout poétique. On est clairement du côté de la seconde option. Avec Limonov, voilà notre Kirill plus dans la retenue, moins d’esclandres visuels (hormis quelques magnifiques plans signature), ce qui n’est pas pour nous déplaire car cette économie vient mettre un peu plus en lumière le sujet de son film. Le sujet c’est Eddie Limonov, un poète anarchiste russe de l’après-Seconde Guerre mondiale, un temps exilé à New York avant de faire un retour remarqué à Moscou pour finir au goulag avant finalement sa libération en héros en 2003. Limonov donc, sorte de dandy punk hédoniste, un narcisse psychotique, imbu de lui-même, persuadé d’être un génie incompris, violent, révolté (avec une haine et une agressivité de petit être en mal d’attention), doué (plus de 17 romans) mais qui jusqu’au bout de sa vie s’est systématiquement trompé de camp (en faveur notamment de l’invasion en Ukraine). Serebrennikov prend son temps pour poser les bases psychologiques troubles de ce personnage parfois sublimé (magnifique scène où il dilapide son propre sang au mur), souvent dégueulasse (la tentative de meurtre sur sa femme), on le voit naviguer à travers les époques, s’épuiser à devenir connu, reconnu, mais par qui ? Par le peuple, sa grande bataille, car dans sa vie, il est éperdument seul et abandonné par tous. Un joli portrait de psychopathe en résumé, d’une maîtrise formelle et narrative impressionnante, une forme de maturité dans le travail de Serebrennikov qui le pose en sérieux candidat pour un prix, celui du Jury peut-être.

On termine la soirée avec un peu de légèreté, et une comédie populaire qui devrait cartonner en salle, En fanfare de Emmanuel Courcol. Thibaut, chef d’orchestre mondialement connu est atteint de leucémie, il doit trouver un donneur de moelle dans sa famille. Révélation fracassante, il découvre qu’il est un enfant adopté et qu’il existe dans la nature un frère, qu’il arrive rapidement à trouver. Se mettent alors en place les stéréotypes comiques avec d’un côté Thibaut donc, « la tête de premier de la classe » riche et éduqué face au frère, Jimmy, cuisinier scolaire au langage rustre. Mais rapidement l’on comprend qu’un don circule dans leurs gênes, et que Jimmy est aussi musicien, à bien plus petit niveau, dans une fanfare locale, et a l’oreille absolu comme son frère. Grâce à son écriture limpide et une forme d’anti-alchimie prenante entre Benjamin Lavernhe (Thibaut) et Pierre Lottin (Jimmy), tout fonctionne, une comédie française haut du panier, qui ne tombe jamais ni dans la lourdeur ni dans la leçon de morale, et arrive systématiquement à faire rire par le verbe plus que le situationnel, émouvoir sans excès ou tire-larme grossier, l’équilibre est juste, une vraie réussite. En fanfare est un film bien entendu léger mais plus fin que ses apparences, notamment par sa lecture sociale (il y a au milieu de cette histoire de fratrie une histoire également de lutte ouvrière). Et que ça fait du bien au milieu d’une sélection officielle qui plombe.

Après la nuit endiablée au Silencio la veille, il est anatomiquement impossible d’enchaîner. Alors on mange (très mal) au Café Hoche, avant de rapidement plier les gaules et rentrer dormir avant une très grosse journée demain, et notamment un film de genre horrifique très attendu The Substance.