Le jeune Takuya va donc abandonner ses cages de hockey pour la chorégraphie sur glace afin de se rapprocher de Sakura. Puis une troisième personne émerge. Un coach ex-star de patinage qui va prendre en main ce néo-couple pour en faire de futurs champions. Un poil mièvre, le film navigue à vue dans une douceur de l’âme bienfaitrice, une nostalgie quasi enfantine qui titille les souvenirs de premiers émois, et ravive la flamme poétique de l’amour de jeunesse. Jusqu’à ce que l’apparente légèreté du film prenne une tout autre tournure. Le coach, victime d’homophobie, sera contraint d’abandonner son projet, licencié par la mère de Sakura qui ne veut pas d’un homosexuel pour coacher sa fille. Le film semble se suspendre à cette décision qui éteint tout espoir sportif et amoureux. Il y a comme une filiation entre le coach et Takuya, très touchante, une passation de flambeau ludique et bien vue. Rien de mémorable, mais un heureux réveil en douceur.
Tout le monde en parle ! Quelle folie, enflammage total autour du second film de Coralie Fargeat, The Substance. Alors, que vaut-il vraiment ? Eh bien malheureusement pas grand- chose. Film "entertainment", show hémoglobique et prothétique, avec néanmoins un revival de Demi Moore magistral, The Substance est un spectacle total, jusqu’au-boutiste, qui ne peut laisser indifférent mais qui ne porte finalement pas grand-chose. Un film "futuroscope", événementiel, mais qui, contrairement à la liste de ses références (Cronenberg, Kubrick, De Palma, Romero) n’apporte rien d’autre qu’un message usé et d’une pauvreté accablante (le règne de la jeunesse à tout prix, la dévalorisation de la femme âgée, le tout image). Alors que retenir du film ? Surtout se féliciter de sa présence en compétition pour un film de genre gore, applaudir le geste engagé et total. Mais on ne peut oublier ce déficit criant de réflexion sur sa période, rien de générationnel là-dedans contrairement à ce que Fargeat prétend. Alors soyons rabat-joie mais non, The Substance n’est absolument pas le grand film dont tout le monde parle. Pire, il est le symptôme gangrénant d’un néo-cinéma de festival, qui cherche à tout prix le spectacle et la performance en oubliant généralement un principe fondamental : la forme ne fait pas tout.
Ivre (avec un seul Spritz, voilà les conséquences désastreuses de la fatigue aiguë), mais parfaitement conscient des enjeux, je retrouve Maud Geffray en bord de plage pour une petite rencontre autour de la musique de film. L’image a toujours été prépondérante chez elle dans la composition de sa musique électronique planante (notamment lors de son départ de Scratch Massive pour une carrière en solo). Cinéphile, elle se souvient d’images marquantes chez Bruno Dumont (à ses débuts, notamment avec Humanité) et avant cela, en école de cinéma, un professeur qui lui a transmis la passion de l’analyse cinématographique (« amener le troisième œil »). Maud Geffray a composé pour des films (Fuck’n’nuts), séries (Split) et documentaires (Les démons de Ludivine), aucune mauvaise expérience en tête, mais que des rencontres passionnantes avec les réalisateurs. Et comment composer alors ? Pas vraiment une démarche impulsive sur l’image, mais un vrai travail analytique afin de comprendre le film dans son entièreté avant de commencer à composer. Puis, surtout, collaborer étroitement avec le réalisateur pour trouver « le ton juste ». Geffray a récemment composé la musique d’un film français à gros budget passé pour le moment sous silence, et une série documentaire d’une plate-forme. Chut, projets encore non dévoilables pour le moment, mais on hâte de redécouvrir sa musique et sa tonalité sur des images au ciné.
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Des pâtes et des petits pois à 25€ ? Mais bien sûr, j’achète ! Quelle tache. Bref, flemme et ventre qui gargouille n’ont jamais fait bon ménage. Mon portefeuille l’a subi. Et un petit verre de Chardonnay pour arroser la fin d’après-midi avant de rejoindre la séance presse du film de Ali Abbasi en compétition officielle The Apprentice. Le pitch donne la nausée, et surtout, fait naître une question qui ne cesse de trotter en tête tout le film : pourquoi offrir 2 heures à une tache comme Donald Trump ? Biopic de son tout début de carrière, avant la construction de sa Trump Tower, j’allais dire on découvre, mais non, confirmation que cet homme est imbuvable, violent (terrible scène de viol sur sa femme Ivana), déshumanisé à la course au billet vert, qu’il n’aime strictement personne à part lui-même et qu’il est con comme une huître. Au-milieu de tout ça, performance magistrale de Jeremy Strong dans le rôle de Roy Cohn, avocat et ami proche de Trump qui l’a plus qu’aidé, l'a même porté au sommet, avant bien entendu que Trump ne le trahisse et l’abandonne lamentablement (dans une des rares scènes intéressantes en fin de film). Alors encore une fois, pourquoi ce sujet ? Qu’apporte réellement Abbasi que l’on ne savait finalement pas ? À part un jeu de mimiques et quelques cocasseries, mais le film malheureusement reste scotché à la pauvreté de son sujet.
On va finir par perdre espoir. Quand surgit Alain Guiraudie (L’inconnu du lac, Rester vertical, Viens je t’emmène) pour nous sauver de la mélasse en sélection Cannes Première avec Miséricorde. Car le film est une merveille, qui commence par le décès d’un père de famille au classicisme de jeu et d’action presque scolaire. Puis l’étrangeté surgit, d’abord par son personnage principal Jeremie, de l’âge du fils du défunt, que l’on découvre fantasmant le père disparu qu’il a « toujours aimé ». De l’étrangeté naît la violence, et une altercation brutale surgit spontanément entre Jeremie et le fils du mort lui reprochant de vouloir coucher avec sa mère. Et du tragique va naître la comédie, puis le burlesque. Là est l’immense réussite du film, sa capacité vertigineuse à retourner l’apparente linéarité du scénario et nous faire hurler de rire, effaçant hyper naturellement la tension de la première partie du film. Mais Guiraudie ne s’arrête pas en si bon chemin, il pousse le curseur vers la philo, et un personnage déjà mémorable d’un curé posant sur la table une interrogation métaphysique profonde sur le sens de la mort (et la notion même du meurtre). Toujours dans une bizarrerie, des non-dits, des jeux de regard, du tragique et de l’humour, un film qui semble réfléchir au sens même de son existence, profond et si brillamment mis en scène, petit travail d’orfèvre accouchant d’un très grand film. Il y aurait tant à dire, et on se fera un plaisir de le faire à sa sortie en salle, vrai mille-feuille passionnant à décortiquer.
Soirée d’un film sur la plage Nomade, la teuf du Royaume, film corse en sélection Un Certain regard. Ça balance de la grosse charcuterie révoltante (pour un végétarien), double bar pour double portion d’alcool qui tabasse, quelques danses chaloupées jusqu’à la clôture. Mais il faut continuer, direction le Vertigo, club temporaire en retrait de la croisette, on y croise des gens très bien (l’acteur principal de Miséricorde ou le réalisateur en compétition Karim Ainouz). Mais passons les gossips, la musique était bien mais sans plus, et a surtout réussi le miracle de nous faire tenir jusqu’à 4h30. La nuit va être très courte. Courage à moi-même, et à demain.