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Chronique cannoise #6 : Pixel, Strip-tease et Tango

undefined undefined 22 mai 2024 undefined 13h47

Pierig Leray

On décale le début de la journée à 11h30 pour faire un tour du côté de la Quinzaine des cinéastes avec le film français Eat the Night du duo Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Et quelle réussite, petite claque synthétique dans la tronche. En effet le film se déroule à la fois au sein d’un jeu-vidéo RPG et dans une rude réalité où Pablo est dealer d’ecstasy sur le territoire d’un gang qui cherche à le faire déguerpir. Il rencontre Night, qui va devenir d’abord son associé, puis son amant, une très belle histoire amoureuse naissante en parallèle de leur business d’ecstasy. Apo(lline), sœur fusionnelle de Pablo, est elle la plupart du temps dans son jeu vidéo. La très grande réussite du film est de réussir à croiser monde pixélisé et réalité, les corps du monde réel prennent forment dans le jeu vidéo, les enjeux narratifs de cette guerre de la drogue trouvent leur échappatoire dans l’illusion de ce monde parallèle. La violence surgit, les drames aussi, et le trio explose sous les coups de boutoir de cette guerre de la drogue. Jusqu’à faire surgir une émotion déchirante dans un final enlevé. Moderne, engagé, radical, Eat the Night prouve encore une fois la vitalité sans pareille d’un jeune cinéma français toujours très inventif. 

On remonte les marches pour la présentation officielle d’un nouveau film en sélection officielle, Anora de Sean Baker. Conquis en partie par Florida Project et Red Rocket, Baker marque un gros coup : il nous sort indéniablement son meilleur film, mais surtout devient un candidat désormais crédible à la Palme d’or. Anora, que tout le monde appelle Ani (jouée par Mikey Madison), est une strip-teaseuse new-yorkaise qui s’en sort à peine en enchaînant les show privés pour des clients dans une boîte de nuit. Jusqu’à une rencontre qui bouleversera tout : un jeune russe milliardaire (du moins son père) d’une vingtaine d’années qui va tomber prétendument amoureux d’elle et la traîner dans un road trip safdien improbable. La première moitié du film pose les bases de cette trouble relation basée sur la thune d’un air franchement léger, les beuveries s’enchaînent, le golden boy arrose Ani et ses potes pour passer une semaine de déglingue inconsciente. Jusqu’à un énième délire, et leur mariage scellé à Las Vegas. Un mariage qui comptera forcément bien plus pour Ani que pour son post-ado décérébré. Le film bascule alors vers l’immense lors d’une très longue scène déjà culte, emportant un grand théatre lumière conquis et complètement hilare. D’une situation abracadabrantesque, Ani doit être retenue par les hommes de main des parents du jeune russe, car fort logiquement les darons débarquent pour annuler le mariage au plus vite. Le film lorgne donc directement vers la comédie, du comique situationnel réussi, et la mise en place brillante de personnages secondaires hyper bien écrits et interprétés, élevant encore un peu plus la performance triomphale de Mikey Madison. Mais Baker ne s’arrête pas en si bon chemin, il glisse d’abord avec parcimonie et en second plan le personnage de Igor et sa tête de brute viriliste (joué par Youri Borissov, déjà extraordinaire dans Compartiment numéro 6 en 2021). Puis par un jeu de regards, on voit ses yeux se poser peu à peu sur Ani, avec une bienveillance antinomique à son rôle de pseudo-tortionnaire. Et de la comédie naît une romance, violente et conflictuelle, mais une romance tout de même entre Igor et Ani, concluant le film de toute beauté avec un plan fixe qui arrive à re-mixer ce shaker émotionnel complexe, entre tendresse, rire et tension nerveuse. Un très grand film que l’on espère fortement au palmarès.

On termine avec le Maria de Jessica Palud en sélection Cannes Première. Le sujet est primordial, sa réalisation beaucoup moins. En effet, lorsqu’un film ne tient qu’à son sujet, c’est systématiquement insuffisant. Biopic de Maria Schrader, Palud revient surtout sur l’épisode si tristement connu de son viol par Marlon Brando sur le plateau du Dernier Tango à Paris de Bertolucci. Très linéaire et scolaire, il n’y a ni mise en scène de qualité, ni performance sidérante d’acteurs pour porter ce film bien pauvre. Néanmoins, il est toujours de bon ton de rappeler qu’un viol détruit, et qu’il faut généralement une vie entière pour s’en rétablir, si cela est encore possible. Maria Schrader en a payé le prix avec une chute violente dans l’héroïne pendant une longue période de sa vie. Le portrait est certes déchirant, mais comme précédemment écrit, bien trop factuel.

Last night in Cannes ! Alors on essaye quand même de se bouger les fesses, et on retourne à la plage Nomade pour écouter Maud Geffray après l’avoir interviewée hier. Et que ça fait du bien d’écouter cette électro pointue plutôt que de la disco de quinqua comme à peu près partout à Cannes. Super concert de 1h, mais là, quand Geffray stoppe, de la house-disco ringarde débarque, et c’est le drame. Malgré cette tentation de la dernière soirée cannoise, on préfère protéger notre intégrité auditive et abandonner. Retour au bercail vers 2 heures du matin pour l’ultime dodo avant notre dernière journée de demain.