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Chronique cannoise #7 : Clap de fin

undefined undefined 23 mai 2024 undefined 11h57

Pierig Leray

J’avais un choix drastique à faire entre le pompeux Honoré et son Marcello Mio, le calvaire esthétique de l’italien Sorrentino avec Parthenope, ou un film de la Quinzaine d’un Américain inconnu. J’ai choisi le panache de la jeunesse avec Gazer de Ryan Sloane. Ma motivation fut une rencontre fortuite de la nuit passée, un producteur m’ayant indiqué avoir bouffé avec l’équipe du film, le réalisateur est en fait mécanicien dans la vie et a payé une bonne partie du tournage de sa poche. Et rien que ça, ça motive, car plus l’engagement dans un film est grand, plus il y a mise en danger (on le voit avec le Megalopolis de Coppola, lui qui a dû hypothéquer ses vignobles pour payer la production de son film), plus le film dégage une sincérité et une honnêteté bienfaitrice, envers lui-même et ses spectateurs, une authenticité artistique qui ne signe pas forcément une réussite automatique, mais à minima, un film engagé. Eh bien c’est exactement ce que l’on retrouve avec Gazer. Dans ce thriller psycho-paranoïaque, on suit Frankie, une femme à la mine blafarde et absente qui est atteinte d’une maladie dégénérative qui lui fait perdre le sens du temps et du lieu dans le registre du Memento de Nolan. Après, c’est à Hitchcock d’être convoqué, Frankie assiste malgré elle à une agression entre deux personnes difficilement distinctes à la fenêtre de l’immeuble en face de son boulot dans une station-essence. Puis voilà qu’apparaît dans un des nombreux cauchemars de Frankie une vision d’un monstre de chair et un appendice reliant la bête cubique à Frankie dans un clin d’œil à l’eXistenZ de Cronenberg. Sloane poursuit son exploration de références avec un autre cauchemar, et une vague de sang sur une machine à écrire (Shining de Kubrick), tout en installant une ambiance d’absence et d’étrangeté très lynchienne. Gazer aurait pu être seulement cela, une check-list de références d’un jeune étudiant en cinéma. Mais il est bien plus, car malgré cette litanie cinéphilique, il arrive à trouver son propre espace avec un bluffant talent dans son sens du rythme et du cadrage qui révolte la dernière demi-heure en une haletante course-poursuite pour la vérité, les révélations tombant sans jamais quitter le mystère impénétrable de cette Frankie dont on ne saura jamais réellement le passé (une question reste en suspens sur sa responsabilité ou non dans la mort de son mari). Un film emballant, très nouveau cinéma américain avec un grain photographique rappelant le Sweet East de Sean Price Williams, également à la Quinzaine des cinéastes l'année dernière.

Quelle merveilleuse dernière séance avant le départ la valise dégueulante de linge sale, la mine vraiment basse, et les cernes bien marquées. Exténué, mais toujours ce sentiment d’être un vrai privilégié d’avoir pu assister à cet étalage de cinéma mondial, malgré il est vrai une sélection bien inférieure à celle de l’année passée. Quoi qu’il en soit, le jeu du pronostic est trop difficile, les voies de Greta Gerwig et son jury sont impénétrables, bien trop casse-gueule d’émettre de quelconques suppositions pour samedi. Mais néanmoins, et en guise de conclusion à ces chroniques cannoises, voici notre palmarès personnel de ce 77e Festival de Cannes, qui aura vu surnager le cinéma social (Bird, Anora) au cinéma de la démonstration (The Substance, Kinds of Kindness), et au milieu, un ovni cinématographique déjà culte qui marquera de son empreinte l’histoire du festival, le Megalopolis WTF de Francis Ford Coppola. Maintenant, il va falloir quelques jours pour récupérer mais déjà se promettre de revenir l’année prochaine.


Palmarès personnel Bonbon Nuit

Palme d’or : Anora de Sean Baker
Grand Prix du jury : Megalopolis de Francis Ford Coppola
Prix du jury : Bird de Andrea Arnold
Meilleur acteur : Ben Whishaw dans Limonov
Meilleure actrice : Demi Moore dans The Substance
Meilleure réalisation : Paul Schrader avec Oh, Canada