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Chronique cannoise #7 : Humanisme, Nazisme et Cocooning

undefined undefined 21 mai 2025 undefined 17h30

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Pierig Leray

Commençons donc par le film iranien du maître Jafar Panahi dont on prédit déjà une possible Palme d’or tant il est le digne représentant du film consensus ; une mise en scène implacable, un sujet politique engagé, et un cinéma humaniste et universel. Avec Un simple accident, qui regroupe toutes ces qualités, Panahi s’intéresse à un ancien groupe de prisonniers du régime iranien tombant par hasard sur leur bourreau et qui se décident ensemble de se venger des atrocités subies durant leur incarcération. Panahi trouve dans l’obscurité la plus totale (la souffrance se nichant dans la vengeance, la haine de l’autre et la violence) une lumière qui éclaire encore un espoir vivant, celui du sens commun et d’un pardon possible. Car derrière le monstre, il y a un père, un mari, un être humain que l’on aimerait déshumaniser mais que Panahi rend réel, ancré, vivant et n’existant plus uniquement par le prisme du tortionnaire, mais par celui d’un homme qui a aussi droit à la rédemption. L’universalité de son sujet et sa maîtrise scénique remarquable rendent le film consensuel et parfaitement aimable, mais le laissent à distance malgré la portée de son sujet. On en ressort admiratif plus que conquis, respectueux plus qu’amoureux. Mais en effet, un sérieux candidat à la timbale finale.

Après Jafar Panahi, place à Kirill Serebrennikov en sélection Cannes Première avec l’adaptation du roman de Olivier Guez La Disparition de Josef Mengele. On retrouve un Serebrennikov assagi, patient, qui, à partir d’un récit éclaté chronologiquement et géographiquement, dépeint la cavale du "boucher d'Auschwitz" Josef Mengele. Et on peut tout de même s’interroger sur la pertinence du sujet, qui expose pendant plus de 2h la vie et surtout la fin de vie d’un monstre non repenti, lâche et fuyard, continuant de véhiculer l’idéologie du troisième Reich à travers une organisation nazie toujours en place et protectrice de sa fugue. Le film sombre et austère est un constat glaçant d’absence totale de repentance chez Mengele qui jamais n’acceptera l’horreur dont il est l’instigateur, pas même face à son fils qui le confronte à ses horreurs. Le film est une entreprise dangereuse et périlleuse mais dont Serebrennikov sort avec dignité et comme toujours chez lui, une impressionnante maîtrise de la mise en scène. Le sujet lui est limité, et l’antipathie de cet homme exécrable jusqu’au crépuscule de sa vie fait évidemment chuter le capital sympathie du film à néant, il faut donc accepter l’insoutenable, et saluer le geste engagé, courageux et indéniablement moins virtuose que ces précédents longs métrages. Serebrennikov se sort donc par le haut de ce portrait d’un homme que l’on aurait préféré n'avoir jamais existé.

En conclusion de cette journée raccourcie par une tempête du diable, au matin, qui nous a littéralement cloitré à l’intérieur, un second film en compétition avec Fuori de Mario Martone dans une séance presse vide, ça commence à craquer sévère. Et en toute honnêteté, on comprend les absents. Le film est ronronnant, l’ennui légitime face à ce petit "téléfilm" du dimanche soir sous une couette bien matelassée, c’est tout confort, sage comme une image fixe, avec cette amourette entre petites délinquantes à Rome. Fuori est totalement dispensable malgré une certaine fragilité incontestable, une histoire de sororité entre anciennes prisonnières, mais surtout l’histoire vraie de l’écrivaine italienne Goliarda Sapienza, reconnue sur le tard. Cette amitié contrariée va naitre entre Sapienza et une jeune femme fougueuse et magnétique, la superbe Roberta interprétée par Matilde de Angelis qui se bat comme elle peut pour insuffler un peu de vie dans cette longue ligne droite interminable et narcoleptique. Difficile de saisir la raison de sa présence en sélection officielle.

Là on est au bout du bout, et malgré l’appel d’une nouvelle nuit cannoise de folie, il faut être sage, car sinon, le corps risque d’imploser. On rentre sagement, et on se prépare à une intense journée demain.


Mais avant de conclure cette nouvelle chronique cannoise, retour comme promis sur le film finlandais en sélection à l’ACID A light that never goes out avec notre rencontre avec son·a réalisateur·e Lauri-Matti Parppei. La dépression, cette maladie invisible qu’il choisit de représenter dans son premier long métrage, « est un choix personnel, j’ai grandi moi et mes amis depuis enfants avec des problèmes de santé mentale, on se sentait toujours en dehors de la société. Mais je ne voulais pas filmer la dépression comme un élément dramatique, mais plutôt l’utiliser pour parler de son contre-point, et l’espoir qui peut en découler ». Dans le film, la musique expérimentale est centrale, et de cette anarchie musicale naîtra l’harmonie. « L’art doit être en dehors des règles, et être capable de nous élever, et de nous sortir d’une vie sous contrôle. » Tout comme Pauli, le fils parfait dans une famille parfaite, jouant de la flûte et subissant une pression énorme de son entourage, lui censé représenter un modèle social sans problème. « Les parents l’aiment, mais projettent sur lui des attentes démesurées, et une image d’une personne qu’il n’est pas. D’ailleurs ce qui est drôle, c’est que je me suis retrouvé en lui en faisant ce film, car d’un coup, la pression qu’il subissait avec ce concert de flûte, je l’ai subie violemment avec la pression de la réussite de ce film. » De ce blocage entre ce que Pauli représente et ce qu’il est vraiment, on peut définitivement faire un lien avec un coming-out ou du moins, la question du genre, une personne se sentant enfermée dans un corps qui ne le représente pas. « Je suis très heureux que les gens aient vu le lien avec la question queer, car elle est là sans être évidemment clairement énoncée. J’ai toujours grandi dans un milieu queer, et la musique que moi-même j’ai jouée a toujours permis d’exprimer cette identité. Donc là question centrale est bien là, comment être celui que l’on est, et comment façonner le monde à son image. » La sélection cannoise cette année est traversée par une force nihiliste sombre et pesante, d’un futur peu réjouissant, et d’un monde qui s’éteint. On retrouve cette thématique dans le film, notamment dans sa première partie. Alors y-a-t-il toujours de l’espoir ? « Je me sens profondément sans espoir, surtout venant d’une petite ville où tout était sombre et sans futur. Mais j’ai appris que l’on pouvait changer le monde, à sa manière. Et lorsque l’on s’associe à un groupe qui a cette même vision, et un objectif commun, on peut retrouver le courage et retrouver l’espoir d’un changement possible. Et c’est ce que j’ai voulu transmettre dans ce film, l’union et la communauté peuvent soulever des montagnes. Le premier feu du film est un feu du désespoir, l’ultime concluant le film celui de l’espoir. »

Un grand merci à Lauri-Mattei Parppei pour son temps et sa disponibilité.