On commence la journée par un détour du côté de la Semaine de la critique avec son film de clôture Planètes de Momoko Seto. Et un petit peu de douceur avec un film d’animation dans la lignée de Flow l’année dernière, une odyssée survivaliste et écologiste où ce ne sont pas ici des animaux mais des pissenlits qui se battent contre les éléments contraires pour trouver leur place et germer. Film sous buvard psychédélique et rêveur qui reste néanmoins scotché à ses limites, faire naître l’émotion par le végétal est un défi qui n’est ici relevé qu’à moitié, et bien que l’on reste admiratif du travail technique, on reste un peu à distance de cette ode à la résilience. Il y a tout de même un élan de positivisme réjouissant au milieu d’une sélection qui n’a cessé de nous foutre la tête sous l’eau, avec du sujet dépressif et nihiliste en veux-tu en voilà. Merci donc à la Semaine de la critique de clôturer sa quinzaine par une touche d’espoir et de légèreté, je crois que tout le monde en avait secrètement besoin.
Après son magnifique Nos soleils en 2022, Carla Simón arrive pour la première fois en sélection officielle à Cannes avec Romería. Et malheureusement, à l’instar du film de Hafsia Herzi La Petite Dernière, la réussite des deux-tiers du film ne résiste pas à un dernier tiers poussif et malheureusement à côté. On suit ici Marina, jeune femme orpheline retrouvant la trace de sa famille, oncles, tantes et grands-parents, afin de retracer la vie oubliée et passée de ses parents, héroïnomanes et décédés prématurément du VIH. Dans ce concept pesant, Simón trouve le rythme juste, le regard apaisé et accompagnateur de cette quête de la vérité, d’une vérité familiale, de la libération d’une parole étouffée, honteuse, et le combat d’une fille pour rendre hommage à ses parents, et honorer une mémoire bafouée. Malheureusement, lorsque Simón décide de lâcher Marina pour intégrer un superflu et bien trop long flash-back sur la vie de ses parents, elle tombe bien maladroitement danss une succession de clichés lourdingues des années 80, entre la vente d’héroïne, le rock en blouson noir, les courses sur la plage à poil, les espadrilles, la descente de drogue et j’en passe. Quelle faute de mise en scène ! qui atténue considérablement la grande réussite du film qui se dessinait. Il s’en dégage alors une amère sensation de déception, le film prenait un chemin merveilleux, il s’effondre par cette ultime partie qui tempère l’ensemble. Ah, quel dommage !
On enchaine sans pause du côté de la salle annexe de Debussy pour découvrir un autre film en compétition, The History of Sound de Oliver Hermanus, avec le duo à faire rougir le plus prude d’entre nous Paul Mescal et Josh O’Connor. Et n’allons pas par quatre chemin, c’est un véritable calvaire. Le film est d'un tel académisme qu’il devrait assurément être dans la course pour les Oscars l’année prochaine, la mise en scène est poussiéreuse, d’un autre temps, tout est poussif, surinterprété, il n’y a pas une seule surprise dans cette plate histoire d’amour impossible archi attendue. Le parallélisme avec le son et la naissance du mythe américain pour les chansons à texte (et la pop music) était en revanche une idée pertinente, mais bien entendu, le sujet est totalement délaissé (hormis à sa toute fin avec, dans un moment de gêne total, la convocation de Joy Division et Bob Dylan, les pauvres n’avaient rien à faire là en se retrouvant associés à ce crash) et Hermanus reste fixé sur un Paul Mescal (Josh O’Connor disparaissant un long moment du récit) mauvais, escroquerie moderne tant son jeu est franchement limité depuis ses débuts, sa caméra aimantée par sa petite moustache (puis une barbe en postiche un peu ridicule) qui n’amène rien d’autre qu’un sourire jaune rempli de malaise. Avec The History of Sound, il y a donc vraiment compétition pour être le pire film de cette sélection cannoise en haute lutte avec le terrible Die, My Love de Lynne Ramsay.
On délaisse le dernier film d'Alex Lutz pour cause de fatigue extrême, on se pose en terrasse déguster une pizza pas assez cuite, et on souffle. Un peu. Avant de terminer notre avant-dernière journée avec Joachim Trier et Valeur sentimentale. Quel hauteur et intelligence, dépassant alégrement son Julie en 12 chapitres, Joachim Trier à son meilleur avec ce candidat plausible à la Palme d’or. Il y a un père cinéaste, absent, refaisant surface à la mort de son ex-femme, et deux sœurs, deux filles, en miroir bergmanien, qui tentent de se reconstruire sans figure paternelle. L’une d’elle, Nora, est tout juste remise d’une tentative de suicide pendant que sa petite sœur, Agnes, a pu construire une famille qui la soutient. Comme systématiquement dans la psychologie clinique, l’ainé souffre bien plus que ses autres frères et sœurs, c’est un rempart à la souffrance, un paratonnerre pour les plus jeunes, l’ainé devant souvent jouer le rôle de parent de substitution. De ce schéma réaliste, Nora est noyée d’une angoisse pénétrante (formidable scène d’ouverture dans ce sens) et tente de faire face au retour d’un père toxique qui ravive la douleur. Mais de sa réapparition, le père fera rapidement acte de repentance, une tentative d’ouverture (certes maladroite et déconnectée de la réalité) à sa fille cadette par l’écriture. En effet, lui, le cinéaste de réputation internationale, a écrit un nouveau scénario de film et propose à Nora d’interpréter le rôle principal. Ce scénario, elle refusera de le lire. Il y a là un acte de foi non pas religieux, mais pour l’art, pour l’écriture, pour le cinéma, par ce film dans le film. Et quelle déclaration pudique et possiblement autobiographique de Trier que cette honnête reconnaissance d’une incapacité émotionnelle à savoir exprimer sa peine, et de la grâce de l’art, et donc du cinéma pour dire ce que l’on peut être incapable de verbaliser. Le final magistral emporte tout lorsque Agnès prend la place de Nora, et que le père regardera, pour la première fois, sa fille hors du cadre, ce cadre cinématographique dans lequel il s’était enfermé, cloisonné, jusqu’à oublier d’aimer sa propre descendance. Autre remarquable idée, Elle Fanning dont le personnage de starlette a si peu d’épaisseur, viendra elle-même s’exclure à la fois du film réel de Trier et du film fictif du père en affirmant face caméra l’absurdité de sa présence. Et laissera toute la place légitime au déroulement psychologique de ce trio. Clairement, Valeur sentimentale a les épaules pour assumer une Palme d’or.
C'était notre ultime nuit cannoise, et comme les miracles n’arrivent pas deux fois, pas d’ange descendu du ciel pour nous donner un carton d’invitation et surfer sur une nouvelle et dernière nuit de folie. On se résout à une ultime bière de la dernière chance, mais fort est de constater que l’échec est cuisant. Pas non plus d’invitation pour la soirée de la Semaine de la critique, et plus l’énergie de se battre pour en dégoter une. On abandonne lamentablement, et l’on terminera en beauté notre périple cannois demain avec une courte matinée de projection avant le grand départ.