Chronique sur la croisette #1 : Malaise, patriarcat et pilosité

undefined 19 mai 2023 undefined 12h37

Pierig Leray

Débarquer à la bourre à Cannes (jeudi au lieu du mardi), c’est comme arrivé en retard en soirée, ça permet de jauger à distance les débuts de festivités, l’ambiance, et les invités. Avec en ouverture Jeanne du Barry de Maïwenn, et la standing ovation pour Johnny Depp, on est clairement en gros malaise, paquet de chips humides, verres en plastoc et tarama entamé. En plus de la médiocrité apparente du film, il expose avec grandiloquence un homme embourbé dans une affaire d’agression contre sa femme, archimédiatisé et en caisse de résonance insoutenable pour les victimes. Sans parler de la conférence de presse lunaire où Maïwenn déclare ridiculement sa flamme pour « son » Johnny arrivée à son tour à la bourre (« J’allais devoir jouer dans le film et embrasser l’acteur, je préférais donc avoir un acteur sexy ». Ouch.). Sans parler de la tribune signée le jour même par 123 acteurs et actrices dénonçant cette exposition sur le tapis rouge. Ça commence fort. D’autant que la crise des retraites semble vouloir s’immiscer dans les salles, avec des coupures d’électricité en menace et manifestations sauvages probables (car le préfet des Alpes-Maritimes a interdit toute manifestation aux abords du Palais des festivals). Un peu de bordel dans ce concours à paillettes, ça ne peut que nous plaire.

Oh la belle balayette dans ma tête, petit pollueur que je suis à prendre l’avion pour Nice. Ça m’apprendra. Trois heures de retard, et ma première réjouissance (Jeunesse, le documentaire de Wang Bing) tombe à la flotte. Mais ma roublardise parfois source de conflit me rapporte ici son lot de consolation avec une séance « au cas où » gardée sous le coude. Et si ce cauchemar se transformait en heureux hasard ? Je pars donc découvrir à 17h Inshallah A Boy de Amjad Al Rasheed à la Semaine de la critique. Dans la veine du formidable « Plumes » de El Zohairy, il attaque frontalement, moins poétiquement, mais tout aussi brillamment le carcan patriarcal en Jordanie. Un premier film plein de maîtrise scénique, et une performance magistrale de son héroïne moderne qui retranscrit à merveille la violence de la soumission patriarcale et son combat quotidien. Jusqu’à sa libération en fin de film, quasi-mystique, qui refile un vent d’espoir dans ces 2 heures d’angoisses dramatiques. En coup de vent à l’appartement pour changement urgent de pantalon (mon jean se perce, et le mistral s’y infiltre dangereusement) et me voilà déjà dans la file d’attente (interminable) de la salle Debussy, adjacente au grand Palais des festivals, pour le film de Stéphanie Di Gusto, Rosalie. Cette fable à poils est parfois au liseré du ridicule, mais courageuse, engagée malgré son excès et sa dernière demi-heure à rallonge aux violons tire-larmes. La différence (matérialisée par la pilosité de Rosalie) est ici source à la fois de joie, et d’ouverture (la différence passionne), mais aussi de haine, et d’une recherche nauséabonde d’uniformité (le racisme). Et puis il y a Nadia Tereszkiewicz, fascinante équilibriste, en merveilleuse Rosalie, guerrière naïve, « femme parfaite », qui impose sa différence plutôt que de la subir. Un film d’envergure qui s’effondre malheureusement dans un mélo surtitré plombant en partie le film. Mais il y a à reconnaître le risque, et le regard si juste et contemporain sur cette fameuse différence à l’autre, et une pression sociétale nous poussant dans le rang.


Image tirée du film Rosalie

À peine digéré la belle Rosalie que l’on retrouve la team du Bonbon en plein débriefing des interviews à venir en terrasse du San Telmo (traduire resto italien hyper cheros pour ce qu’ils servent). Une pizza "margherita" et une pinte avalée, et puis le drame. La porte de la plage Magnum se referme devant nous (comme devant un Ariel Wizzman déboussolé, regrettant au fond de lui sa consécration de l’ère Canal). Romain Duris trainasse devant, molasson, et peu avenant, avec à ses côtés la nouvelle génération, et Paul Kircher (à peine 18 ans, et que l’on a tant aimé dans « Le Lycéen » de Christophe Honoré). Big John intransigeant, on se rabat sur le Silencio où l’angoisse de la musique 2000’s a conclu notre soirée d’un bilan implacable : on fera mieux demain.