Chronique sur la Croisette #2 : Indie, beuverie, nazi et barbarie

undefined 21 mai 2023 undefined 17h15

Pierig Leray

Indiana Jones is back, et avec lui, James Mangold (du plutôt réussi Le Mans 66) derrière la caméra dans ce 5e opus de la trilogie culte, Indiana Jones et le cadran de la destinée (car je fais le choix arbitraire d’effacer de la mémoire collective le numéro 4 et son débarquement gênant d’extra-terrestres). Eh bien celui-ci n’est pas en reste. 3 lignes de scénario, 2h de courses-poursuites pétaradantes après une horloge claquée. Une bribe d’émotion avec du fan service, et une fin anachronique du niveau de ridicule du 4. Il y a certes un désir de rattachement à ce qui a fait le succès de la trilogie initiale, mais malheureusement avec un humour bien trop absent, une écriture bâclée notamment des personnages secondaires, et une séance qui se termine avec un sourire tout de même, mais gêné et nostalgique d’une époque révolue, d’un mode de cinéma d’action qui tourne en rond, et qui a définitivement perdu de son charme passé.

Changement de registre avec How to have sex, premier long-métrage de la réalisatrice britannique Molly Manning Walker. Je m’attendais à un torrent de digression cinématographique, à une vision nouvelle de cette fameuse "jeunesse désabusée" si brillamment filmée dans Rien à foutre avec Adèle Exarchopoulos. Eh bien non, le classicisme de sa forme filmant des Anglais déchirés en symbole de vacuité est du déjà-vu, sa thématique sexuelle à contre-courant (l’importance de la première fois) est le réel intérêt du film, mais laisse songeur. Pourquoi sacraliser ce moment à ce point en 2023 ? Puis l’associer à un viol soulève à son tour une nouvelle question venant brouiller la cohérence et le sens propre du film. Mitigé donc. La sieste est indispensable, en venir à se tenir les yeux pour ne pas qu’ils se ferment est un bon signe. Il faut se poser, essayer de manger, et surtout assécher rapidos ces chaussettes dégoulinantes de flotte. Il pleut à Cannes, et c’est pas prêt de s’arrêter.

Ma plus grosse attente de la sélection officielle se présente maintenant en séance, Zone of Interest de Jonathan Glazer. Et c’est la sidération qui prévaut lorsque les lumières se rallument, bouche bée par la démonstration de force de Glazer qui signe la première mandale mandibulaire. Il y a cette forme en tunnel, géométrique, et ce son strident, agressif, que l’on retrouvaient dans Under the Skin. Mais aussi une vision de l’horreur par la normalité, un chef nazi responsable d’Auschwitz vit dans une harmonie emprisonnée, une maison collant le camp de la mort. Les enfants jouent sous les bruits de mitraillettes, les hurlements et les pleurs des victimes juives, la réception de la belle-mère dans une épaisse fumée issue des incinérations qui trône au-dessus de la maison familiale, avec les odeurs de corps calcinés que l’on imagine associées. Le camp n’est jamais filmé, le hors-champ est immense, et porte l’essentiel du film. La monstruosité (le nazisme) s’oppose à la normalité d’une famille allemande classique, des horreurs (le musée actuel à Auschwitz et ces milliers de chaussures entassées, un crâne dans une rivière) muselées par le quotidien (les femmes de ménage devant nettoyer les vitres, les enfants jouant dans l’eau), l’inhumain (les Juifs ne sont plus que des chiffres) confronté à l’humain (une famille, des enfants en bas âge). Et de cette antinomie glaçante, Glazer sublime sa férocité par ses traveling minutieux, son cadrage fixe qui pèse une tonne, et son atmosphère terrifiante par sa déconnexion à la réalité. Très grand film qui sera forcément au palmarès d’une manière ou d’une autre en fin de compétition.

D’une sensation à une autre, celle-ci bien plus viscérale et dégoulinante, on passe à la présentation du dernier film de Bertrand Mandico, Conann. Transpercé par la poésie de son dernier film After Blue, celui-ci est moins visuel, plus cérébral, filmant une vie qui passe et évolue, qui se construit dans « la barbarie », la violence et la domination de son destin. Connan la Barbare est filmée de ses 15 ans à sa mort, chaque dizaine (15-25-35 ans) en étape fondatrice de son futur de reine, de domination vengeresse, mais aussi d’amour et de tendresse. Jusqu’à ce qu’elle décide de disparaître dans une scène finale cronenbergienne sauce Strickland où le corps farci aux légumes se partage comme le pain béni de la Cène. Chez Mandico, le cinéma évolue peu dans sa forme organique, mais principalement par un discours aujourd’hui plus conscis, anglé, d’un scénario qui tient la longueur. À continuer comme ça, d’ici 10 ans il nous tire un chef-d’œuvre.

La tête encore dans les tripes du Mandico, on essaye de se changer la tronche sur la plage Magnum, enfin accessible après la terrible désillusion d’hier encore entre les dents. Karaoké géant, coupette à volonté et Magnum chocolat blanc, idéal pour lancer sa soirée. Et passer au rooftop "Nomade" du 3.14 géré par l’équipe du Perchoir. Je croise des RP en placement de produit, la teuf du Kleber Mendonça (Portraits fantômes, en séances spéciales) et de la Desperado. Qui boit encore ce truc ? Toujours pas compris le concept. Ça se trémousse jusqu’à épuisement. Et si je veux gérer le film turc de 8h30 demain, cette petite voix angélique et protectrice me tabasse le crâne, et m’impose la rentrée. La suite dès lundi.