Guillaume Gouix, c'est ce beau mec discret et charmant qu'on voit régulièrement au cinéma dans des seconds rôles de prestige (dernièrement l'excellent Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait d'Emmanuel Mouret par exemple). Comédien de formation, c'est peu dire qu'il a le cinéma chevillé au corps, et c'est assez évident dès lors qu'on passe plus de 20 secondes à discuter avec lui. Ça tombe bien, c'est justement ce qu'on a pu faire dans le lobby de l'hôtel Dame des Arts, à l'occasion de la sortie de son premier long-métrage, Amore Mio, un film solaire dans lequel il est question de deuil, de famille et de motocross.
C’est ton premier long métrage en tant que réalisateur, qu’est-ce que ça fait de terminer un tel projet ?
La sortie, c'est particulier. Il y a un peu d'appréhension. C'est un film qu'on a fait un peu en petite troupe, avec un petit budget, donc la sortie, c'est en quelque sorte la fin de l'histoire. Mais je me sens hyper fier qu'on m'ait laissé faire le film que je voulais faire, sans aucun compromis. Donc de ça je suis fier, ouais. Et puis j'ai l'impression que les gens le perçoivent assez bien, qu'il y a une émotion assez palpable, donc je me sens assez bien.
D’où tu tiens cette histoire, et pourquoi avoir choisi le deuil comme contexte si particulier pour la raconter ?
Déjà je voulais faire un film de personnages, de sentiments. Je trouve que malheureusement c'est un cinéma qui disparaît un petit peu. Aujourd'hui, on est beaucoup dans les faits de société, dans tout ça. J'adore aussi. Mais moi, j'avais envie de faire un film de personnages. Vraiment, j'ai grandi avec Cassavettes, Sautet tout ça. Je ne me compare pas du tout, évidemment, mais j'avais envie… en tout cas de retrouver cette énergie où le sujet, c'est les sujets.
Le deuil, pour l’avoir comme tout le monde vécu, et avoir observé, chez moi, chez des proches, c'est un endroit bourré de conventions un peu bizarres, où les gens attendent quelque chose, comme s'il fallait afficher son désespoir pour être correct. Genre « t'as vu, il est pas triste », tu vois ? Et en fait j'avais envie d'un personnage qui dise « Mais en fait, moi, je vous emmerde ».
Voilà, bon il est malgré tout toujours question d’amour (sourire), le film d’ailleurs est assez solaire. Je pense qu'il n'est pas méchant, mais il y a quelque chose de très libre, quoi.
L’un des thèmes très présents dans le film, c’est évidemment la famille.
Ça m'a toujours fasciné, les places qu'on se donne dans les familles, de se dire que l'on s'attribue des places comme ça, très tôt. Et finalement, quand on devient adulte, quand enfin on pourrait reconsidérer les gens pour ce qu'ils sont et pas pour ce qu'on a toujours vu d’eux, on n'y arrive pas. On voit les gens comme on les a toujours vus, on ne connaît que ce qu'on a toujours su dans notre sang. Donc ça voilà, c'est un rapport sur lequel j'avais envie d'écrire.
Ça faisait longtemps que tu avais le projet de réaliser un film ?
J’avais fait trois courts-métrages déjà, avant de passer au long. Donc ouais, ça faisait longtemps, ça a toujours été au fond de moi, mais autant que jouer, j'ai toujours eu envie de jouer. Je voulais faire du théâtre, j'ai fait des formations de plasticien, je voulais créer des trucs en fait je crois. Et le cinéma, je trouve que c'est un art magique, parce qu'il il se sert de plein de talents différents. Les musiciens, les photographes, les acteurs, les monteurs. Et la réalisation, c'est comme être le chef d'orchestre de tout ça, et ça me plaît bien.
Pourquoi as-tu choisi de ne pas jouer dans ton propre film ?
Parce que les acteurs amènent autre chose, ils amènent leur vision, ils vont plus loin… Nous on a écrit le rôle, mais eux en fait, ils prennent le texte, et ils plaquent un truc dessus qui est à eux et qui amène le film plus loin. Je n'avais pas envie de me priver de ça en fait, de cette énergie là en tout cas, parce que moi, je ne vois pas comment je peux aller plus loin que ce que j’ai déjà imaginé. Donc au final, j'ai l'impression que je serais un peu trop bon élève quoi. Après c’est moi, quand je vois Louis Garrel ou Dupontel par exemple, ils brillent là-dedans, ils ont trouvé le truc. Moi, j'aurais peur d'être un peu trop sage, de trop me respecter, alors que les acteurs, j’ai l'impression qu'il ne faut pas qu'ils respectent les metteurs en scène pour transcender leur personnage.
Justement, comment tu les as dirigés tes acteurs ? Est-ce que tu laissais la place à l’improvisation par exemple ?
C'est très bizarre, il n'y a aucune improvisation de textes, c'était très écrit, mais par contre on avait une espèce d'improvisation de l'état, enfin, des sentiments… il fallait qu'elles aient le droit quoi. J'ai l'impression que diriger les acteurs, c'est leur mettre un contexte pour qu'ils ne se sentent pas jugés, qu’ils ressentent qu’ils sont libres. Et là il fallait qu'elles n'aient pas peur de rater, pas peur d'être mauvaises, si elles en avaient marre qu'elles puissent arrêter, si elle se faisaient rire ou qu'une se gratte le nez, ok, je m'en foutais, mais en tout cas qu'elles n'aient pas du tout cette crainte-là. Donc le texte est écrit, mais elles le nourrissent tellement de surprises que j'ai l'impression que ça crée un sentiment de liberté totale. Et là, on est bien, on fait des trucs bien.
Comment on fait pour ramener les gens dans les salles de cinéma ?
Avec la culture, et donc l'éducation. C'est la responsabilité des artistes d'essayer de faire les films les plus beaux, sincères et spectaculaires possible, d’essayer de comprendre comment les gens peuvent revenir. Mais j'ai l'impression que parfois, c'est aussi la responsabilité de la presse, de parler parfois un peu plus de ce qu'ils aiment et moins de ce qu'ils n'aiment pas. Je ne dis pas qu'il faut ne pas être critique, mais je pense qu’il faut mettre en avant ce qu'on aime avant tout… et après, c'est l'éducation. À chacun, avec ses enfants, de rendre ces moments importants, de les emmener au théâtre, au cinéma, de leur montrer qu'on est dans un pays où il y a un accès à la culture qui est dingue et que le perdre, c'est perdre beaucoup de notre identité. Mais ça c'est propre à chacun, moi, je m'y efforce avec les miens.
Amore Mio, de Guillaume Gouix
Avec Alysson Paradis, Élodie Bouchez
En salles le 1er février