On le comprend assez vite, Yazid ressemble beaucoup à Salim. Mais si le film, bref mais intense, se fait comme souvent le porte-voix de son réalisateur, il ne doit pas être pris pour autant pour un objet autobiographique ; on se situe plus du côté de l'autofiction, infusée d'éléments appartenant à la vie du cinéaste (quelques images d'archives personnelles sont même disséminées dans le métrage) mais aussi à celle d'un ami très cher, « un frère », disparu depuis. Acteur comme lui, issu de l'immigration comme lui, ayant perdu sa mère jeune comme lui, cette figure fraternelle plane sur le film et lui donne son point de départ, un hommage poignant faisant office de processus de deuil. On imagine d'ailleurs que la traversée du désert évoquée dans le synopsis concerne plutôt l'ami regretté que Kechiouche lui-même, ce dernier multipliant les projets au cinéma, à la télévision et au théâtre depuis sa première apparition sur les écrans en 1996 avec une régularité et une diversité surprenantes.
Aujourd'hui cinéaste accompli, l'idée de faire ce film lui est apparue comme une évidence, celle de « raconter cette histoire, comme si on avait fusionné nos deux destins, de raconter notre expérience à nous, celle d'acteurs venant de ces milieux-là. » Même s'il ne sait « plus comment on dit, “je viens des minorités ?”, moi je ne me suis jamais considéré comme ça », c'est bien cette histoire que Salim Kechiouche veut raconter, celle d'un acteur français issu de l'immigration, confronté à ses origines tant quand il déjeune avec sa grand-mère que quand il se rend à une soirée mondaine, mais surtout celle d'un homme comme un autre, un mec qui travaille, qui doute, qui aime, qui espère, qui souffre, qui s'élève, qui chute, qui se relève. « Le but du film est d'aller en profondeur sur ces personnages pour qu'on se dise “ah ouais mais en fait ils sont comme nous, ils ont des histoires de famille, on vit tous les mêmes choses, on est tous humains au final”. » Donner envie de se rapprocher plutôt que de s'éloigner, mais aussi montrer l'exemple : « on nous montre toujours des phénomènes sportifs, artistiques, des gens qui explosent, mais y'a plein de gens qui ont des petits boulots et qui réussissent leur vie, qui sont engagés, et ceux-là on ne les montre pas trop parce que... parce que ça ne vend pas. »
Pourtant, Salim le dit lui-même : « les gens ont envie de voir des nouvelles têtes, qu'on leur raconte une histoire différemment ». D'ailleurs les réactions du public en avant-premières le prouvent, il y a une vraie demande pour ce type de cinéma. Malheureusement le système est bien installé, difficile à faire bouger, à tel point qu'on peut considérer comme miraculeux le fait que le film ait vu le jour sans aucune subvention. Et c'est dans ce sens que le film s'adresse à tout le monde : « On n'a pas fait un film calibré pour une certaine population, mais qui peut toucher justement tout le monde, peu importe la classe sociale, l'origine, la situation. On s'adresse autant à un public de quartiers populaires qui ne va pas beaucoup au cinéma pour leur dire “regardez c'est possible !”, qu'à un public cinéphile plus bourgeois pour leur dire “regardez ce qu'on sait faire” ».
C'est plutôt un mec positif en fait Salim, qui croit fort au cinéma comme outil éducatif par exemple : « C'est la facilité de laisser son gamin avec une tablette ou un smartphone, il va scroller, prendre plein d'informations, alors que si tu lui dis “prends un bouquin”, tu vas peut-être être relou mais l'effort engendré va lui permettre de retenir plus de trucs... mais si tout le monde lâche l'affaire, on va tous se retrouver dans le métro comme des zombies à checker nos phones, personne se regarde, personne se parle... ça fait flipper, vraiment ». Lire, aller au cinéma, aller vers l'autre, toujours avec la volonté de s'enrichir intellectuellement, c'est un peu la philosophie qu'il s'applique à lui-même, mais c'est aussi celle qu'il souhaite pour le cinéma français : « il faut montrer l'apport du tissu associatif, tout ce qu'on fait en France pour la culture, plutôt que de se lamenter sur les problèmes qu'on a ; montrer ce qu'on a de bien aussi, se motiver plutôt que grogner ».
La phrase qui résume peut-être le mieux le personnage, c'est celle-là : « J'aime beaucoup La Haine, mais j'ai envie de voir des films de banlieue qui me parlent d'autre chose, je trouvais par exemple que c'était plus judicieux de faire L'Esquive ». Comment lui donner tort ?