Y’a quoi au ciné ? – Adulescence, anarchie et arty

undefined 20 mars 2024 undefined 14h59

Pierig Leray


Adulescence : BLUE SUMMER

Il faut se laisser porter par la beauté vaporeuse et nostalgique de cette photographie bleutée, cotonneuse, qui transporte cette histoire d’identification dans l’universalité du thème abordé (la fin de l’adolescence). Car durant cette fameuse et très cinématographique période transitoire, les repères sont mis à mal par la fécondité des hormones, et il nous faut trouver un modèle, une entité supérieure qui guide nos pas apeurés vers le monde de la maturité. Ici, Liu Xian se retrouve dans l’artistique (le studio photo de son père) et croise le chemin décisif de Mingmei, une femme libre, force de la nature au charisme étincelant, modèle d’ouverture et de modernité qui va la transporter vers une vie en marge, et ainsi réveiller l’enfoui, faire surgir l’inaudible, et la libérer des chaines de la conformité dans laquelle elle baignait depuis son jeune âge. Film volatile, rêverie acidulée pleine de promesses, encore un peu fragile et superficiel, mais qui regorge de personnalité, à l’image de son éclatant duo d’actrices qui surnage.

En résumé : Vaporeuse nostalgie d’un temps universel, celui de la fameuse transition adolescence-adulte, qui marque ici le fondement d’une nouvelle vie imprégnée de liberté créative. 3/5

Blue Summer de Z. Geng
Sortie le 20 mars


Anarchie : LOS DELINCUENTES

Quel plaisir de voir un cinéma argentin si vivant. Après le merveilleux Trenque, Lauquen de Laura Citarella, Robert Moreno prouve à nouveau la richesse indéfectible d’une industrie pourtant mise à mal par le nouvel autoritarisme en place. Il prend ici la parallèle anarchiste du Désordes de Cyril Schäublin, grande réussite de 2023, avec une vision absurde et souvent ironique de l’esclavagisme moderne (le travail de bureau), son contrôle étatique (l’Argentine est le pays avec le plus haut taux d’inflation du monde) et l’argent tout puissant en carotte au bout du bâton. Un banquier désespéré par la monotonie et l’ennui décide de voler 600 000 dollars à sa banque : le calcul est rapide, 3 ans de prison pour ne plus jamais travailler de sa vie. Le vol est ici justifiable, et sa logique implacable. Morán s’associe à Román qui lui gardera l’argent pendant sa mise à l’ombre. S’ensuit alors une seconde partie bucolique, où l’un et l’autre redécouvriront la passion amoureuse, le retour à la naturalité, à la terre, à plonger dans un lac d’eau douce, s’émerveiller des lumières apaisantes d’un soleil se couchant sur la pampa argentine, les réveils sont sans austérité, les nuits bien plus douces et sucrées : le plaisir simple retrouvé. Jusqu’à nous faire oublier son enjeu principal (l’argent) devenu totalement accessoire. Immense coup de cœur pour cette poésie de la liberté, drôle, fin, cousu de rien, un cinéma humain et vivifiant qui s’étend sans jamais ennuyer.

En résumé : Longueur (3h10) et langueur, beauté de la patience et de la finesse dans cet hymne à l’émancipation du travail forcé. 4,5/5

Los Delincuentes de R. Moreno
Sortie le 27 mars


Arty : APOLONIA, APOLONIA

13 ans, c’est le temps que Léa Glob a passé auprès d’Apolonia Sokol, aujourd’hui artiste contemporaine reconnue de tous, avant simple étudiante aux Beaux-Arts de Paris galérant devant un jury circonspect. De l’école à la vie, les failles de jeunesse, l’appel du fric à Los Angeles, l’égo qui explose. Puis, le retour aux racines pour tenter de se reconstruire, et chercher, encore et encore, cette furie créatrice qu’elle portera toute sa vie, cette vie fusionnant avec son art (le jury des Beaux-Arts lui dira que « sa personnalité est plus intéressante que sa peinture »). La grande réussite de ce très beau documentaire réside donc à ne surtout pas élever Apolonia Sokol en génie hors-sol incomprise, mais bien de faire tout son contraire : la montrer à visage naturel, pleine d’humanité, dans sa naïveté, mais aussi dans son arrogance, pièce maladroite d’une machination qui va la broyer. Finalement, son destin en devient anecdotique, seul son chemin passionne car il nous renvoit au nôtre, et Léa Glob tire non pas un portrait d’artiste, mais un portrait de femme tout court, universel.

En résumé : Derrière ce destin hors du commun, le parcours universel d’une femme, ses échecs, ses peurs, ses douleurs, un très beau documentaire qui sait saisir les instants décisifs d’une vie presque normale. 3,5/5

Apolonia, Apolonia de L. Glob
Sortie le 27 mars