Y’a quoi au ciné ? – Bas les masques, Guerrier solitaire et Concorde

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Pierig Leray


Bas les masques : JOKER : FOLIE À DEUX

Là où le premier volet campait dans un cinéma mainstream à la morale bidon, Todd Phillips réinvente sa suite dans une liberté sans concession, lâche sa machinerie artistique en ne cessant de jouer l’intermittence entre une comédie musicale qui n’en est pas une, un film d’action sans action, une romance qui sonne creux, et le désespoir au centre de tout un projet basé sur un homme qui cherche à s’affranchir de son personnage. Et là réside toute la beauté foudroyante du film, par son angle autobiographique, Arthur tentant d’échapper au personnage du Joker, c’est Phillips fuyant le poids de la réussite, Phillips qui érige en doigt d’honneur cette fable pathétique et bancale face aux attentes démesurées et la pression inhérente du triomphe. Au lieu de baliser son scénario et d’en faire un show tout public, il isole, confronte, une mise en péril de chaque instant installant son film dans la précarité, au bord du précipice, avec pour seul but celui de réussir à saisir l’instant où enfin, l’antipathique Joaquin Phœnix et ses grimages grotesques tombe le masque : d’égal à égal, face à face, Joker et son créateur Todd Phillips réussissent le pari fou d’éteindre la lumière pour faire naître la beauté du naturel, l’ombre prend définitivement la place du corps (en rappel au court film d’animation d’ouverture).

En résumé : Là où tout le monde s’excitait d’une suite dans la continuité du premier, Phillips nous prend à contre-pied en s’interrogeant sur le sens même de sa réussite, retournant la table d’une liberté créative jouissive et salvatrice. Pur bonheur. 4/5

Joker : Folie à Deux de T. Phillips
Sortie le 2 octobre


Guerrier solitaire : THE APPRENTICE

Dans The Apprentice, Ali Abbasi surprend son monde en s’attaquant à la dangereuse personnalité de Donald Trump dans ses jeunes années de louveteau en passe de mettre le monde à ses pieds. Avant le monde, il y mettra sa femme, humiliée, et violée (la grande scène choc du film, motivant la tentative d’interdiction du film par Trump) à ses pieds, son père qu’il radiera de l’entreprise familiale l’accablant de sa prétendue lâcheté, son plus grand soutien (ne parlons pas ici d’amitié, définition inaccessible pour Trump) Roy Cohn qui le fera gravir tous les échelons jusqu’à le poignarder dans le dos. Là réside d’ailleurs tout l’intérêt relatif de The Apprentice, un film-performance qui offre une passe d’arme grandiloquente entre deux monstrueux acteurs, Sebastian Stan face à Jeremy Strong, Trump/Cohn, le cœur à vif d’un film qui en manque cruellement. Oui, Trump est un homme absolument détestable, manipulateur, dénué de tout sens humain, d’empathie, dominé par l’avidité capitaliste, un monstre de notre temps, adulé ici, vomi là-bas, une bête féroce qui abandonnera tout (y compris sa dignité) pour gagner plus. Mais Abbasi avait-il besoin de nous le foutre à la tronche ? Car en érigeant Trump en anti-héros, mais héros quand même, il y a une sorte de glorification tragique qui en découlera indéniablement, le jeu dangereux de la victimisation s’emparera forcément de cette sortie : les anti-Trump y verront une vérité connue, les pro un pamphlet martyrisant. Car bien que profondément idiot, Trump ne l’est pas moins que le peuple qu’il dirige.

En résumé : Captivant, souvent troublant, on ne peut cesser tout du long de s’interroger sur la seule question qui vaille : pourquoi filmer, et nous imposer ce que tout le monde sait déjà ? Un tel personnage mérite-t-il qu'on s'y attarde, à la limite dangereuse d’une forme de glorification morbide ? À vous d’y répondre. 3/5

The Apprentice de A. Abbasi
Sortie le 9 octobre


Concorde : PAS UN MOT

Tout est affaire ici de suggestion. Un adolescent traumatisé et isolé par la mort brutale et ignoble d’une de ses camarades de classe (un simple portrait de la disparue jonché de gerbes à son arrivée au lycée), une mère fantôme, noyée dans ses répétitions (elle est une chef d’orchestre reconnue, incessamment harcelée par un téléphone qui ne cesse de sonner, partout, tout le temps), et un mur froid et bétonné entre eux, une communication impossible, une haine même naissant chez Lars de voir sa mère déconnectée d’une souffrance mutique, incapable de poser un mot sur sa profonde cicatrice suintante. Dans une terre morbihannaise brumeuse et sublime, Mahler résonnant en force tellurique pénétrant la roche, l’impossible duo s’enfonce dans l’incompréhension mutuelle. Jusqu’à ce qu’enfin les mots cessent, et les gestes naissent : un regard attentif, une attention soudaine, une embrassade libératrice. Toujours pas de mot, mais un rapprochement muet, le touché en libération d’un amour maternel jusqu’alors mort-né. Il y a de cet humble film allemand un sens inné du détail qui transporte la mise en scène de Hannah Slak dans un quasi religieux sens de la concorde et de la miséricorde, acte protestant de l’épure et de la distance pour signer l’amour bien qu’imprononçable, mais émanant des corps et non des discours.

En résumé : Film discret et poignant, le silence est érigé en hymne magnifique à la guérison, à la quête de l’apaisement par le geste et sa compréhension, plutôt que par le verbe avec un sens de la mise en scène et du détail bluffant. 3.5/5

Pas un mot de H. Slak
Sortie le 9 octobre