Y’a quoi au ciné ? – Bête de foire, nuit sauvage sororité, effroi

undefined 4 octobre 2023 undefined 11h47

Pierig Leray


Bête de foire : LE RÈGNE ANIMAL

Émile est un ado qui bouffe des chips (Paul Kircher), son père François (Romain Duris) l’engueule de manger ces cochonneries. Jusque-là, la banalité d’une relation parentale. Puis, le fantastique surgit du réel avec l’apparition soudaine d’une créature étrange mi-bête mi-humaine, qui fait basculer le film dans la fable. Ces « bestioles » (comme ils sont nommés) qui pullulent désormais alarment la population, et de ces inquiétudes d’un bouleversement de hiérarchie darwinienne naissent leur rejet. On comprend rapidement que la mère en est une, et que le duo Émile-François désemparé recherche ardemment l'antidote à cette transformation génique. Malheureusement, le film est un diesel, peine à s’installer, fusillé par le sur-jeu de Duris, l’apathie de Kircher, et ce second rôle incompréhensible de tiédeur d'Adèle Exarchopoulos en policière lisse et sans enjeu. Le film grandit à mesure qu’il s’élève de son sujet, décolle même littéralement d’une très belle scène d’envol d’une bestiole jouée par l’excellent Tom Mercier. Cailley arrive alors à capter l’humanisme à travers la monstruosité, transfigurer l’initiale faiblardise de la relation père-fils en une force viscérale, débordante d’énergie de survie jusqu’à cette folle course-poursuite à travers la forêt interdite peuplée de bestioles, au départ repoussantes, et désormais majestueuses. On s’émeut donc de ces 30 dernières minutes remarquables, mais qui malheureusement peinent à sauver l’ensemble, trop hétérogène, maladroit (notamment sur son versant politique), en ordre dispersé qui parfois émerveille, mais souvent ennuie, rendant une copie brouillonne.

En résumé : Quelques fulgurances et une fin aboutie mais Le Règne animal est plombé par bon nombre de maladresses d’écriture et un rythme trop hétérogène. 2.5/5

Le règne animal de T. Cailley
Sortie le 4 octobre


Nuit sauvage : LOST IN THE NIGHT

La vengeance dégouline du premier regard sombre de Emiliano, il veut retrouver sa mère disparue depuis 3 ans, embarquée de force par la police véreuse du coin et dont il n’a plus de nouvelles depuis. Et ce qui fait la grandeur du film, c’est ce que fait Escalante de la vengeance, souvent stéréotypée et linéaire au cinéma (de Tarantino à De Palma, dont on retrouve d’ailleurs des codes architecturaux dans la maison d’une famille bourgeoise), elle est ici complètement déphasée, interrogatrice, perdant totalement de son sens jusqu’à ce qu’Emiliano ne sache plus vraiment de quel bord se situer entre le souvenir pesant de sa mère, son présent et cette naïve histoire d’amour avec Jazmin, et un futur qui s’ouvre à lui, instagramable et à paillettes. Son inaction le trahit (sautant d’un camion en route pour un assaut meurtrier, la lente hésitation face à la révélation sur le bateau), complètement paumé dans un nid de serpents entre une police corrompue, la toute-puissance de l’argent et le petit peuple qui trime mais perverti par des envies sectaires. Emiliano s’envole au milieu de ce bordel, survivant des enfers, roi d’un monde qu’il arrive enfin à décoder, seul survivant d’une impitoyable destinée. Escalante joue les Bong Joon-ho (Parasite) dans ce théâtre social avec certes moins de maîtrise, mais une atmosphère féroce, tendue de bout en bout.

En résumé : Un faux film de vengeance qui attaque la lutte des classes mexicaines, c’est fort et intense. 4/5

Lost in the night de A. Escalante
Sortie le 4 octobre


Sororité : NOTRE CORPS

Pendant presque 3 heures, nous voilà plongés en immersion dans un service de gynécologie hospitalier, là où les espoirs émergent (une grossesse, une FIV), les douleurs surgissent (l’accouchement, l’endométriose), les changements de sexe se concrétisent, et à travers le visage de dizaines de femmes, le documentaire de Claire Denis parvient au difficile équilibre entre pédagogie et émotion, capable de nous passionner comme de nous faire pleurer sur le destin, parfois tragique, souvent magnifique, de ces femmes toutes uniques à leur manière. Notre corps permet également de soulever la déliquescence d’un système hospitalier français agonisant, la caméra se tournant aussi bien sur les soignants déphasés par des heures de garde ininterrompues que sur les patients. Et leurs histoires sont tout aussi passionnantes, eux qui resplendissent de bienveillance et de professionnalisme, à rendre par ailleurs rageur de l’abandon politique qu’ils subissent continuellement. Sensation de la dernière Berlinale, Notre corps est de ceux que l’on catalogue souvent maladroitement en "film nécessaire", il est ici une entrevue innovante, et à juste distance, sur toutes ces histoires divergentes qui tracent un point commun sur les femmes, leurs corps, leurs espoirs et désespoirs.

En résumé : Longue exploration dans les entrailles d’un service de gynéco, un film pédagogique et sensible sur la femme, ses douleurs et espoirs. 3/5

Notre corps de C. Simon
Sortie le 4 octobre


L’effroi : LE CONSENTEMENT

Y-a-t-il forcément nécessité d’être cru et frontal pour filmer l’horreur ? Doit-on nécessairement additionner les scènes de sexe entre Vanessa, cette adolescente de 14 ans et son bourreau pédophile, le détestable Gabriel Matzneff, pour comprendre l’emprise psychologique démentielle de cet intellectuel salué par les plus grands (Mitterrand en haut de la liste) ? Eh bien non, tout est cru, factuel, sans enjeu de mise en scène, Jean-Paul Rouve est plus dans la caricature que l’interprétation. Ce que le film arrive encore le mieux à soulever, c’est le silence étourdissant du milieu intellectuel parigo de l’époque, Matzneff pouvant se donner à toutes les exactions répugnantes dans une moue acceptative terrifiante (notamment dans Apostrophes avec Bernard Pivot, les dîners mondains qui voyaient défiler les jeunes filles, le regard baissé de la brigade des mineurs). N’apportant pas grand-chose au séisme qu’était le livre sorti en 2020, il a tout de même le mérite de renvoyer au caniveau ce fameux adage de petit réac' : "c’était mieux avant". On ose imaginer (même si l’invitation récente de Luc Besson sur le plateau de Quelle époque pourrait me contredire) qu’à l’heure de MeToo, un tel silence de plomb sur les méfaits d’un pédophile serait impossible (Matzneff qui décrivait déjà ses relations sexuelles avec des enfants dans ses bouquins). Film terrifiant, mais bancal, Vanessa Filho n’arrive jamais à dépasser l’ancre des lignes, et n’en offre malheureusement qu’une pâle adaptation.

En résumé : Trop factuel, le film n’arrive jamais à se détourner du livre, et ne fait que rééditer le cauchemar dans une mise en scène crue mais absente 2/5

Le Consentement de V. Filho
Sortie le 11 octobre