Y’a quoi au ciné ? – Candeur, Absurde et Grandeur

undefined 18 septembre 2024 undefined 10h32

Pierig Leray


Candeur : MEGALOPOLIS

Une idée qui germe depuis 40 ans dans le cerveau génial de Coppola, une addition de projections, de désirs cinéphiles, et cette obsession de la Rome Antique qu’il superposera au New York contemporain. Un architecte capable de stopper le temps (Cesar Catalina), autobiographique personnage coppolien et son désir le plus naïf de rebâtir un monde nouveau, folle et anachronique lubie d’un vieil homme refusant de tomber dans le fatalisme pour épouser la forme contradictoire de l’espoir. Face à lui, la folie fasciste et populiste (Clodio Pulcher), la technocratie politique (Franklyn Cicero), et l’amour impossible (Julia Cicero). Megalopolis est une expérience visuelle et sensitive unique, car brisant tout concept de réussite ou d’échec, il est ailleurs en dehors de toutes normes et d’une pré-fabrication hollywoodienne gangrénée par la suffisance et les règles, par les désidératas de producteurs véreux qui anesthésient l’ambition et homogénéisent l’esthétisme du cinéma mondial. Coppola, et son regard d’enfant joueur, nous perd souvent dans ce labyrinthique complexe architectural, mais perce à jour les moutons aveuglées par la soupe hebdomadaire. Le film est un vaste spectacle opératique, théâtral, burlesque, frôlant parfois le nanard et le sur-jeu, mais d’une fraîcheur salvatrice, d'une énergie d’un autre monde, ouvrant la voie comme tout film culte à un autre possible : celui d’un nouveau cinéma, celui que l’on ne comprend peut-être pas tout à fait encore, mais qui est là, à rôder, prêt à tout exploser. Et Coppola en architecte poseur de sa première pierre.

En résumé : Un film jouant incessamment avec le temps, alors qu’il en est dénué, un film hors-âge, que certains décriront comme hors d’usage, alors qu’il est le reflet bouleversant d’un très grand cinéaste à l’heure de la fin des temps. Déjà culte. 5/5

Megalopolis de F.F. Coppola
Sortie le 25 septembre


Absurde : MA VIE, MA GUEULE

Chez Sophie Fillières, il y a cette capacité à jouer avec le verbe, toujours sur un fil, utilisant l’absurde et le ton de la rupture pour soulever des questions existentielles qui nous perforent et nous travaillent (dans La belle et la belle et Un chat un chat notamment). Dans l’autobiographique Ma vie, ma gueule, Agnès (Jaoui) interprète Sophie (Fillières) dans ces moments où les souvenirs s’évaporent, le cerveau embrumé d’une conscience qui peu à peu s’éteint, parfaitement consciente que la fin se rapproche, mais digne de vouloir, une ultime fois, partager avec dignité et grandeur ses tortures métaphysiques qui l’ont travaillée de très nombreuses années avant sa disparition en juillet 2023. Il est donc question de mort, beaucoup, à la fois en raillerie et en un violent constat, sur le ton du jeu mais aussi de l’héritage (à ses enfants), et quelle magistrale réussite que d’avoir su trouver le ton juste, l’équilibre précaire, fragile, mais si sensible entre un cinéma qui vit et un cinéma qui meurt, une vie éclatante, et au même moment cette vitalité qui s’éteint. Particulièrement touchant, bouleversant, Fillières ira jusqu’à convoquer Philippe Katerine en ange tombé du ciel pour l’accompagner tout là-haut, au firmament des plus grands. Grand film sensible à l’humilité si humaine.

En résumé : Film posthume, film d’une vie qui s’éteint, absurde, joueur, saisissant d’une émotion pure et naïve, un film à part, l’ultime d’une grande cinéaste. 5/5

Ma vie, ma gueule de S. Fillières
Sortie le 18 septembre


Grandeur : LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE

Il y a d’abord la révolte qui gronde, Sana et Rezvan les deux sœurs d’une famille conservatrice semblent bien loin des agissements de la rue, protégées, ou plutôt isolées par une mère sur-protectrice et le spectre d’un père aux hautes instances étatiques dont le travail doit rester secret. Jusqu’à ce que la contestation infiltre l’intime par l’intermédiaire de la meilleure amie de Rezvan, éborgnée par la police lors d’une manifestation sauvage à l’université. Les enjeux dramatiques s’enclenchent alors dans une tornade froide, mathématique, posant les grandes questions de notre temps (bien au-delà de la situation iranienne, en nous interrogeant sur la morale, et notre capacité à s’opposer à l’ordre établi). Tant bien que mal, la mère tente de maintenir le cap (en cherchant la normalité lorsqu’elle cuisine alors que plus personne ne mange, ou cette glaçante rhétorique « le travail c’est le travail » à son mari lorsque l’on apprendra qu’il est à l’origine d’exécutions sans procès) alors que la tempête est déchainée (des dizaines de vidéos de violences policières insoutenables inondent les réseaux sociaux). Dans un tel déferlement de violence, il suffit d’une étincelle. Ce sera la disparition de l’arme de poing du père, faisant alors basculer le film dans une veine quasi-horrifique où toute humanité semble définitivement évaporée. Le père, le boureau, le bien, le mal, toutes les frontières effacées, tout est purulent, pourri par le mensonge, la psychose d’une dictature qui pervertit tout, trahit toute forme de bienveillance, jusqu’à imploser une famille jadis soudée, et finir dans un jeu labyrinthique hitchcockien à se chasser comme des animaux féroces dénués de toute conscience humaine. Sombre et percutant, Les graines du figuier sauvage dépasse sa façade contestataire primordiale pour dépeindre une vision tragique de l’âme humaine, celle qui flanche, suit le troupeau et pour finir par devenir tout ce qu’elle s’est promis, un jour, de ne jamais devenir.

En résumé : Film à grande ampleur sans aucune concession, le mal est partout, s’immiscent et pourrissant les semblants d’intime qui résistent (la famille) face à une dictature iranienne qui rendrait fou le plus sage d’entre nous. Puissant. 4,5/5

Les graines du figuier sauvage de M. Rasoulof
Sortie le 18 septembre