Y’a quoi au ciné ? – Coup de déprime, Barbarie, Tumeur bégnine et Tradeuse

undefined 21 novembre 2023 undefined 11h05

Pierig Leray


Coup de déprime : UN HIVER À YANJI

Le film s’ouvre sur un mariage coréen au nord la Chine, Haofeng est paumé, le regard dans le vide, un appel sans réponse de sa psychothérapeute posant le tableau d’une dépression profonde. Le rat des villes (sa grosse montre en gros plan signant son aisance financière, lui le trader de Shangai) va s’accointer avec deux rats des champs, Nana, une guide touristique, et son pote cuistot Xiao. Comme souvent, une bonne cuite les unit, Haofeng loupe son avion de retour, et le trio initie un voyage physique (à la recherche d’un « lac céleste ») mais surtout métaphysique pour tenter, ensemble, de trouver un échappatoire à leurs échecs. La fin semble inévitable (leur séparation) mais le chemin, lui, est mystérieux, d’une langueur profondément nostalgique, chacun s’appuyant sur l’autre pour tenter de résoudre l’immense tristesse d’un passé qui nous est inconnu. Un film en coup de vent, un coup d’éclat songeur qui rend indulgent sur les nombreuses facilités du film (l’omniprésence musicale, les ralentis, les métaphores grossières), et nous emporte loin, aux contrées d’une ambivalence émotionnelle particulière, comme ces héros d’un jour, paumés entre pleurs et apaisement.

En résumé : Une balade sans lendemain, nostalgique et vaporeuse, d’une poésie heureuse en ces temps sombres. 4/5

Un hiver à Yanji de A. Chen
Sortie le 22 novembre


Barbarie : CONANN

Il faut toujours s’accrocher avec Bertrand Mandico, savoir se livrer à corps perdu dans une orgie esthétique incomparable, réussir à lâcher prise dans les méandres cronenbergiennes poisseuses mi-heroic fantasy, mi-geekerie absurde. Et pourtant, par-delà son esthétisme viscéral, Mandico reste un messager puissant. Avec Conann, il féminise la brutalité masculine de son pendant Conan, héroïse cette femme humiliée et torturée d’un message féministe radicale. Son film est aussi politique, lui qui ne cesse de baigner dans l’underground depuis plus de 20 ans, sort la tête de l’obscurité depuis After Blue, son précédent film, et ce Conann sélectionné à Cannes à la Quinzaine des cinéastes. Les choix cornéliens de Conann s’appliquent au fond à lui-même, l’appât de la lumière ne peut-il pas tuer le monstre qu’il aime tant être ? Conann, c’est un immense bordel, faussement délirant, où la question du genre est perpétuelle, une poésie des corps et des fluides qui se nourrit de la mort pour construire sa domination visuelle.

En résumé : Un Mandico qui garde la radicalité de son esthétisme, mais qui n’a jamais été autant personnel et politique, un joli bordel crasseux. 3.5/5

Conann de B. Mandico
Sortie le 29 novembre


Tumeur bégnine : JE NE SUIS PAS UN HÉROS

Dans ce Dedienne show, il joue Louis, un avocat junior qu’on ignore, la tête de vainqueur du Dîner de cons, et cette succession de malaises avec les collègues qui l’enfoncent. Il est invisible, vit encore chez ses parents qui ne le supportent plus, en gros, un boulet. Mais son existence prend une tout autre tournure lorsque son médecin lui annonce la probable présence d’une tumeur cancérigène dans son bide. Avant même d’avoir les résultats définitifs, il balance l’info à son bureau, devenant le grand martyre de la boîte, la pitié inonde tout le monde : le voilà alors le petit protégé de la tyrannique patronne (excellente Clémence Poesy). Comme une évidence pour le twist comique, il n’a finalement pas de cancer, mais se garde bien de l’annoncer pour garder son nouveau statut. Mielleux à souhait et d’une démagogie casse-tête, le film trouve son souffle dans l’équilibre comique maîtrisé entre Dedienne, Poesy et Géraldine Nakache (qui joue une grande gueule anar très drôle). Il n’échappe évidemment pas à l’écueil de la bien-pensance, mais par son rythme et surtout une écriture remarquable, le film tient la route, et se place clairement dans le haut du panier des comédies françaises.

En résumé : Si l’on dépasse le message de fond balourd, c’est drôle, bien écrit, avec un Dedienne parfait et de très bons personnages secondaires, une bonne comédie à la française. 3/5

Je ne suis pas un héros de R. Milstein
Sortie le 22 novembre


Tradeuse : LA VENUS D’ARGENT

On s’emballe dès le départ pour le personnage de Jeanne, badasse, héroïne agenrée jouée par la chanteuse Pomme, elle est impassible au regard machiste, trace sa route dans la beauferie cockée du monde de la finance. Et surtout, elle les rétame par la vivacité de ses analyses, une intelligence glaçante au service du pognon. Progressivement, la narration vacille et fait surgir un ex qui a abusé d’elle, puis le stéréotype de l’enflure, cheveux gominés et boutons de manchettes, un Patrick Bateman de La Défense qui profitera d’elle, et de sa naïveté de jeune hyène. L’homme reprend le pouvoir sur la femme, la contrôle, et ne fait alors exister son personnage qu’à travers leurs propres existences, le trame se construit en réaction, et non par l’action solitaire de Jeanne. Et bien sûr, c’est hyper frustrant. Il fallait une pirouette pour rabattre la situation dans un féminisme en bouée de sauvetage : une femme, forcément lesbienne, va sortir la pauvre Jeanne de sa torpeur et d’une carrière à l’arrêt. L’on aurait tant aimé que ce personnage trace sa route de Vénus sans l’aide ni d’une tierce personne, ni en réaction à une énième domination masculine. Et malheureusement, c’est ce qui rend le film en demi-teinte, comme inachevé.

En résumé : Dommage que la première demi-heure tonitruante et ravageuse s’étiole dans des entourloupes scénaristiques qui l’édulcorent. 2/5

La vénus d’argent de H. Klotz
Sortie le 22 novembre