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Y’a quoi au ciné ? – Émancipation, Ippon et Anthropomorphisme

undefined undefined 5 septembre 2024 undefined 13h38

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Pierig Leray


Émancipation : MI BESTIA

Troublante imagerie au ralenti, état second, trip hallucinatoire paranoïde où d’une plate normalité (une jeune lycéenne en pince pour un garçon de sa classe) se dessine le cauchemar, et la violence. Une éclipse lunaire est annoncée, et avec elle, le délire apocalyptique de l’avènement de l’antéchrist. Mila pose un regard désabusé sur ces bondieuseries, mais son corps, lui, se transforme, ses iris à la lueur d’un jaune perçant, du sang dans son entre-jambes, des poils drus sur ses avant-bras. De ce transmorphisme animal (tant vu au cinéma ces derniers mois : Le règne animal, Tiger Stripes, Bird à Cannes de Andrea Arnold), Camila Beltrán filme l’émancipation d’une adolescente qui n’a plus le droit de l’être : face à elle, la perversité adulte (et ce beau-père insistant et au regard libidineux), l’absence d’une mère (débordée par son travail à l’hôpital), les avances d’un petit ami (qu’elle repoussera par une morsure en guise d’embrassade), les rues de Bogota et les regards désireux, le monde de l’enfance est définitivement enfoui dans la terreur et l’horreur (et ces cris d’enfant d’outre-tombe, perdus dans les limbes de l’oubli). Mi Bestia est atypique, bricolé, foutraque par moment, mais généreux, jusqu’au-boutiste dans son désir d’interpeller, et de foudroyer, imparfait donc, mais unique et avant-gardiste par un cinéma horrifique qui se refuse de tomber dans sa codification.

En résumé : Esthétique au ralenti, transfiguration satanique d’une jeune adolescente plongeant dans la violence du monde adulte, un film à part, qui ne laissera personne de côté. 3/5

Mi Bestia de C. Beltrán
Sortie le 4 septembre


Ippon : TATAMI

Il y a donc ce noir et blanc intense, presque trop beau pour filmer la sueur des tatamis et ces corps enlacés et combatifs, une photographie proprette qui réussit néanmoins à nous immerger à son cœur, ippons, clés de bras, prise de judogi, nous voilà en plein revival des JO, dans une sur-esthétisation à la Guadagnino et ses tennisman de Challengers. Leila est une judokate iranienne en lice pour la médaille d’or au championnat du monde, elle déroule son talent jusqu’à ce qu’un appel téléphonique à sa coach Maryam bouleverse le cours de son tournoi. La fédération iranienne lui demande de déclarer forfait pour éviter de croiser la route d’une athlète israélienne, une confrontation inimaginable pour cette dictature islamiste. De ce judo esthétisé, nous basculons alors dans le message éminemment contestataire. Et c’est là où le film se plante en partie, la présence du régime est sous-représentée (deux, trois obscurs personnages en arrière-plan, des violences et menaces sur leurs proches trop discrètes), et ainsi, l’interrogation morale et fondamentale trop peu exposée : courber l’échine pour sauver ses proches ou bomber le torse de la révolte et continuer le tournoi, sous peine de faire souffrir sa famille ? La question semble à peine évoquée, car élucidée si vite, il y a alors la répression, et face à elle, la rébellion automatique, sans nuance ou interstice. En somme, du noir et du blanc qui manque cruellement de relief de gris. Il n’en reste pas moins une réussite formelle incontestable, et une voix, même si peu réflexive, face au régime tyrannique iranien en place, et questionnant par ailleurs leur présence récente aux JO de Paris.

En résumé : Haletante immersion par ses très beaux combats, mais dénaturant alors son propos contestataire qui s’épuise dans une binarité manichéenne qui ne laisse pas assez de place au doute et à l’échec (moral). 2,5/5

Tatami de G. Nattiv et Z.A. Ebrahimi
Sortie le 4 septembre


Antropomorphisme : LE LEOPARD DES NEIGES

Un groupe de documentaristes gravit les sublimes paysages désertifiés du nord de la Chine à sa frontière avec le Tibet. Un léopard des neiges, emprisonné malgré lui dans un enclos à bétail, a dévoré 9 béliers, et reste ainsi, pantois, dans l’attente décisive du choix de l’homme: mourir pour protéger le reste du bétail (le choix du berger), ou survivre (le choix du moine et des autorités). De ce choix binaire va grandir l’émoi : un moine lui fait face, yeux dans les yeux, lui qui entretient une relation particulière avec ce léopard qu’il a déjà sauvé auparavant, au loin, les déchirants cris d’un bébé léopard attendant le retour de sa mère, le berger, désabusé par l’absence d’aide étatique veut en finir avec cette bête qui lui a coûté toutes ses économies ; quant à la caméra du documentariste, elle est cette ligne marginale, impassible, qui sépare consciencieusement les deux camps. Mais l’idée magistrale de Tseden, c’est d’établir précautioneusement un autre regard, celui du principal intéressé, la caméra se posant à la première personne dans les yeux du léopard : on revit alors à la fois son geste de rage lors du massacre des bestiaux, puis sa détermination à survivre dans l’enclos, car dans cette quête anthropomorphique, l’angle de vue du léopard est à niveau de celle des hommes, un antispécisme salutaire qui définit le léopard en une entité entière et déterminante. Une vraie réussite pour un film animaliste qui sait alors parfaitement identifier sans démagogie idiote l’interconnexion souvent dramatique entre l’homme et l’animal, sans aucune hiérarchisation.

En résumé : Hypnotique, comme le regard du moine dans celui du léopard, un film profondément animaliste qui reconnaît la détresse des hommes à niveau de celle de l’animal, dans un cinéma libre de toute concession. 3.5/5

Le léopard des neiges de P. Tseden
Sortie le 11 septembre