Flou artistique : IN WATER
Là où il utilisait l’architecture inversée pour nous parler de sa dépression dans Walk Up en début d’année, Hong Sang-soo revient à la poésie, et avec elle, les souvenirs de ses débuts. Il utilise une image floutée en vapeur d’une mémoire défaillante, filme le beau invisible (une fleur emprisonnée dans un muret, la couleur turquoise de la mer, une femme qui ramasse des déchets), et nous rappelle avec candeur que son cinéma n’est le fruit que du hasard et de l’instinct. Le jeune cinéaste n’a pas de scénario pour son court-métrage, mais se laisse aller au gré d’une rencontre fortuite pour le bâtir. Il y a aussi la solitude du metteur en scène (très belle scène où il fixe l’horizon pendant que le caméraman et l’actrice s’amusent en premier plan), la recherche égoïste de reconnaissance et "d’honneur" à devenir cinéaste, le défi de l’argent et une forme de mendicité artistique pour s’en sortir. C’est aussi une histoire de fantômes, son propre fantôme qui surgit à la face de l’actrice pour lui souffler un sublime « Reprends tes esprits », comme un appel d’outre-tombe de HSS à lui-même. Puis ces quelques notes de piano qui concluent 1h06 hors du temps et de l’espace, 1h06 vertigineuse et sublime.
En résumé : Jeu de mise au point et de distance, Hong Sang-soo brille encore et toujours, avec cette fois-ci ses mémoires de jeune cinéaste dans un flou qui illumine le monde de ses détails. 4,5/5
In Water de H. Sang-soo
Sortie le 26 juin
Mysticisme : CAMPING DU LAC
Il y a d’abord la voix fataliste d'Éléonore (Saintagnan), réalisatrice-actrice dans son propre rôle qui tombe en panne en pleine terre bretonne avec sa Peugeot enfumée. Puis à force de rencontres fortuites, son installation dans le camping du coin, le Camping du lac. Jusqu’à ce que le conte religieux s’empare du récit, et évoque d’un air amateuriste très Bruno Dumont la légende de Saint-Corentin, ami d’un poisson qui multiplia sa chair avant de le lâcher dans une rivière, ce poisson prenant aujourd’hui la forme d’un mythe, celui du "monstre du lac". Saintagnan s’attèle alors à filmer l’extraordinaire dans l’ordinaire, la simplicité et à travers elle, sa complexité, la beauté d’un portrait d’un vieil homme blessé (un redneck américain qui parle seul), d’une femme trans qui élève seule son gamin, d’une dame faussement paumée qui enlace les arbres. Et de cette galerie naît l’unité, l’union de ses inconnus en un amas familial. Jusqu’à ce que l’équilibre naturaliste se rompe par l’appât du gain. Le lac et sa légende se propage, le tourisme de masse l’inonde, et son eau commence à s’évaporer, cette masse aquatique devenant peu à peu une terre boueuse hostile. Le capitalisme tueur, assécheur, pervertissant l’équilibre homme-nature jusqu’au crime ultime, et la mort de la bête, la disparition de la légende d’une conclusion apocalyptique nihiliste. Formidable premier film, petite pépite pleine de vitalité et d’acidité, à vite, très vite, découvrir en salles.
En résumé : Improbable croisement entre Letourneur et Dumont, merveilleux premier film qui au-delà de sa qualité indéniable de portraitiste rurale alerte avec ferveur sur le drame écologique précoce qui se joue devant nous. 4/5
Camping du lac de E. Saintagnan
Sortie le 26 juin
Sadisme : KINDS OF KINDNESS
Il y a chez Lanthimos une insupportable quête sensationnaliste de l’image choc, une violence pseudo-artistique qui, à l’inverse de Lars Von Trier, se fracasse lamentablement face à la vacuité d’un propos absent (Canine, Mise à mort du cerf sacré), d’une idéologie enfantine et bas du front (The Lobster). Avec Pauvres Créatures, Lanthimos avait pris (un peu) de hauteur en instiguant, même de façon sacrément maladroite, une idéologie féministe porteuse et justificatrice de toutes ses expérimentations visuelles plutôt jouissives. Avec Kinds of Kindness, il rechute violemment dans une sur-esthétisation profondément vaine et ennuyeuse. Le film se compose en 3 parties, les mêmes acteurs jouant des rôles différents (certes on adore Jesse Plemons, mais son prix d’interprétation à Cannes est illisible) avec en traceur commun l’emprise amoureuse toxique et destructrice (un homme et son patron, un homme et sa femme, et une histoire de secte). Métaphore balourde de tout instant, Lanthimos s’amuse avec sadisme à torturer ses personnages dans l’unique but nauséeux de déclencher le haut-le-cœur comme un gamin s’amuserait à observer avec délectation les ailes d’une mouche arrachées sous son microscope. Le versant fantastique qui accompagne les 3 scènes est certainement la seule incandescence de ces interminables 3 heures qui finissent franchement par épuiser.
En résumé : Lanthimos rechute après une première heure enlevée, back to le sadisme, la vanité et la vacuité d’un film sans propos, provoc’ et idiot. 1,5/5
Kinds of Kindness de Y. Lanthimos
Sortie le 26 juin