Glamping : LE MAL N’EXISTE PAS
La langueur de cette ouverture sur les labyrinthiques branches d’une forêt japonaise, le temps s’arrête chez Hamaguchi, souvent pour le meilleur (Contes du hasard et autres fantaisies en 2022), parfois un peu trop poseur (Drive my car, Asako 1 et 2), mais une identité jaillit systématiquement de la minutie de ses mises en scène baignées de douceur et de ravissement visuel. Avec Le mal n’existe pas, Hamaguchi nous prend à contre-pied, avec de l’humour tout d’abord, un ton joueur et amuseur totalement absent dans sa filmographie. Une société japonaise souhaite installer un camping pour bobos en pleine forêt sans jamais considérer les demandes légitimes de la population locale qui ne cesse d’appuyer sur l’impossibilité d’un tel projet, en lecture très fine d’une génération de boomers se cherchant une voie de sortie d’urgence de l’hyper-urbanisme vers l’illusion d’une échappatoire rurale. Puis de la drôlerie, le film bascule vers l’improbabilité d’un thriller et la disparition de la fille de Takumi, stoïque personnage central du film, Hana. Là encore, Hamaguchi semble s’amuser à la fois du destin pseudo-tragique de Hana, mais aussi du nôtre, pauvre spectateur perdu dans les méandres d’un jeu de piste policier troublant. Jusqu’à ce que l’horreur jaillisse, qu’une tension hitchcockienne inonde le cadre, et nous saisisse de stupeur d’un final qui continue d’interroger. Maître du volte-face, Hamaguchi réussit l’impensable pari de repenser son cinéma, et lui ouvre les portes d’un futur déjà passionnant.
En résumé : Hamaguchi sait se réinventer en allant chercher un improbable mélange de genres dont on ne se serait jamais douté, de l’humour et de l’horreur, un labyrinthe hitchcockien contemplatif et donc forcément inratable. 4/5
Le mal n’existe pas de R. Hamaguchi
Sortie le 10 avril
Absence : IL PLEUT DANS LA MAISON
Frère et sœur à la vie, Prudey et Makenzie Lombet le sont à l’écran devant la caméra de la réalisatrice belge Paloma Sermon-Daï. Ils doivent se dépatouiller d’une situation tendue : la mère est absente, cette vieille maison fuit, le frigo se vide, et ce qui devait s’apparenter à un banal été adolescent à faire surtout tout ce qu’il ne faut pas faire sera finalement une entrée brutale dans les responsabilités d’un monde adulte intransigeant et anti-social. Tout est jeu de métaphore (le "plafond de verre" qui ancre le pauvre à sa condition de pauvre), de non-dits et de silences pesants, de révolte silencieuse, il n’y a pas de dramaturgie, mais une souffrance ordinaire, quotidienne, une souffrance invisible et pourtant vécue par des millions d’anonymes, cette galère de l’abandon des parents, de l’absence de repère parental qui traduit souvent une misère sociale insoluble. Les scènes se suivent, isolent peu à peu le frère et la sœur, qui semblent dépérir progressivement dans un monde où il est interdit de rêver, et dont la seule valeur argent domine chaque décision de vie. Tout semble si sombre, et pourtant, Sermon-Daï réussit à déclencher un vent d’espoir, celui d’apprendre à éteindre son passé pour construire son futur, seul et à la force de sa propre conviction de valoir bien plus que ce que l’on aimerait nous mettre en étiquette.
En résumé : Il y a définitivement quelque chose dans ce premier film, forme d’anti-Ken Loach à la belge, un film social sans lacrymale, une justesse des plans et le factuel d’une inégalité révoltante. 3/5
Il pleut dans la maison de P. Sermon-Daï
Sortie le 3 avril
Incel : AGRA
Pas de round d’observation avec ce film indien découvert à la Quinzaine de Cannes l’année dernière, la perversité sexuelle d’un frustré de première classe, agrippé à son sexe et à ses chats de cul, incel misogyne et violeur qui navigue dans une famille corrompue par les tromperies, les mensonges et l’appât du gain (la maison comme seul trésor familial). Tout est poisseux et dégouline de vice. Jusqu’à ce qu’un espoir improbable naisse de cet enfer, un amour entre Guru, le pervers et une femme boiteuse, abimée par la vie et surtout un premier mari violent. Voilà alors que cette famille se reconstruit à travers un projet de vivre ensemble, communautaire, autour de cette fameuse maison en reconstruction, théâtre glauque des batailles et insultes passées. Behl nous sort la carte de la fin interrogatrice qui laisse un éternel soupçon autour de la véracité de sa trame, sommes-nous assez fous pour croire en la réhabilitation d’un homme si dévoyé ? Un film malade, profondément malaisant et qui porte les traces d’une société indienne bouffée par les non-dits.
En résumé : De la violence de sa première partie à sa tentative de reconstruction dans la seconde, Agra est une expérience désagréable, maladive, qui purule de frustration et de perversité familiale et sexuelle : il faut donc logiquement courir le voir. 4/5
Agra de K. Behl
Sortie le 3 avril