Y’a quoi au ciné ? – Grandiloquence, nostalgie cinéphile, tueur en carton et fille de

undefined 2 novembre 2023 undefined 17h31

Pierig Leray


Grandiloquence : L’ENLÈVEMENT

Bellocchio met son nez sous la soutane avec un versant tragique de l’histoire catholique et le rapt d’enfants juifs à leurs parents car baptisés de force (souvent en cachette par la nounou qui balançait un peu d’eau sur le front du gamin avant de tout balancer au Vatican). Ces enfants d’à peine 6 ans se voyaient alors forcés à rentrer dans les ordres et suivre le séminaire. Bellocchio sort l’artillerie lourde : grandiloquence de mise en scène spectaculaire, bande-son tonitruante, une photographie et ses jeux de lumière à tomber, les poils qui se dressent, la poitrine qui s’écrase, un vrai coup de maître. Après Scorsese, les anciens sont dans la place. De cette terrible histoire, Bellocchio tire aussi une lecture plus moderne de l’endoctrinement des plus jeunes, ce lavage de cerveaux religieux où toute réalité émotionnelle est distordue (cette terrible fin entre Edgardo le héros malgré lui du film et sa mère), un fanatisme qui transforme l’innocence en violence, la naïveté d’un gamin en sombre manipulateur à col blanc. Grandiose.

En résumé : Film-opéra, grandiloquence, dramaturgie, c’est immense, du grand spectacle. 5/5

L’Enlèvement de M. Bellocchio
Sortie le 1er novembre


Nostalgie cinéphile : PORTRAITS FANTÔMES

Fascinant comme Kleber Mendonça Filho arrive dans ce documentaire sur sa ville natale de Recife au Brésil à imbriquer le fictionnel (principalement à partir d’images de son premier film, Les bruits de Recife) au réel de sa maison d’enfance, les images se juxtaposent entre film familial et film tout court. D’un souvenir d’une infection de termites germera l’idée de son film Aquarius, du souvenir de l’aboiement du chien du voisin celui de son premier long-métrage. En ce sens, Mendonça nous rappelle que le cinéma ne peut être qu’une démarche profondément intime, une exposition métaphysique des souvenirs de son passé. Dans la seconde partie, le réalisateur brésilien s’intéresse aux salles de cinéma, et nous rappelle avec grâce que le cinéma congédie les espaces (les quelques salles aujourd’hui disparues dans le centre-ville de Recife) en théâtres fantômes. Et qu’un film se transformera irrémédiablement, un jour, en documentaire de son époque. Les salles sont aujourd’hui enterrées sous des armatures de mall gigantesques et ne trouvent de mémoire vivante qu’à travers les films où ils ont été tournés. L’ultime partie est sur la pesanteur bien connue de l’église évangélique au Brésil, inondant de manière sectaire le pays depuis près de 20 ans. Les cinémas subsistant sont vus comme des temples, les gens s’agenouillant pour s’abreuver d’Hitchcock pendant que d’autres ont été tristement remplacés en chapelles évangélistes. Portraits fantômes est une merveille de documentaire qui dégage une mélancolie salvatrice sur le cinéma et ses espaces de vie.

En résumé : Très intime dans sa première partie, Mendonça offre ensuite un documentaire gracieux sur le cinéma, et son lien aux espaces présents et passés (principalement l’entité indispensable de la salle de cinéma). 3,5/5

Portraits Fantômes de K. Mendonça Filho
Sortie le 1er novembre


Tueur en carton : THE KILLER

Fincher, ce réalisateur adolescent qui a aspergé nos fantasmes cinéphiles de bac à sable (Seven, Fight Club) est de retour après sa foirade – déjà sur Netflix, Mank. L’entrée est spectaculaire de langueur et de silence, un tueur observe, attend, s’ennuie. Là où Fincher nous assomme généralement de tension chevaleresque (Gone Girl, Millenium), il prend ici enfin le temps de l’observation, de filmer l’avant plutôt que le pendant. Mais de cette belle promesse découle… le néant. Sans aucun enjeu dramatique, Fassbender (qui joue ce "killer", roi des tueurs à gage) enquille les miles (passant d’aéroports aux voitures de location) d’un acte vengeur incompréhensible, justifié par une risible mise à l’écran d’une femme que l’on présume être la sienne. Cela aurait été bien plus fin d’éliminer tout lien de causalité entre sa motivation et ses actions, une dérive meurtrière gratuite et totale. Mais non. Si l’on rajoute cette voix-off ridicule à la Dexter des mauvaises saisons, et Fassbender multipliant les banalités de langage, on s’ennuie ferme jusqu’à cette fin en queue de poisson, ce cul vissé à une chaise longue qui refoule bien fort le bâclé. On aurait tant aimé un jusqu'au-boutisme, de la violence gratuite, répétée jusqu’à vider toute sève d’humanité, ou encore rester sur cette première scène, filmer ce tueur à gage dans la normalité du quotidien plutôt que l’exceptionnel de son caractère. Là encore, c’est non, rien ne vient, tout est vain.

En résumé : Ça se veut grande critique du capitalisme, ça finit la tête dans les chiottes à gerber de la bile, le ventre désespérément vide. 1.5/5

The Killer de D. Fincher
Sortie le 10 novembre (sur Netflix) 


Fille de : LITTLE GIRL BLUE

Faire acte de mémoire, surtout lorsqu’il s’agit d’une histoire intime, est plus que casse-gueule, on peut y mettre bien trop d’affect ou à contrario, une rage incontrôlée, on peut se paumer dans les archives, dicter plutôt que conter, être en sur-jeu (on pense récemment à Rouve dans Le Consentement de Vanessa Filho), bref, les écueils sont pléthore. Mona Achache tient l’extraordinaire pari de parler de sa mère (Carole, fille de l’éditrice et romancière de renom Monique Lange), son parcours chaotique (de prostituée à New York) au plus tragique (violée enfant par le répugnant Jean Genet), avec une telle hauteur de vue, un apaisement quasi divin, une conscience et un sens du pardon somptueux. Marion Cotillard joue là l’un de ses plus grands rôles, elle n’est plus dans la performance (Piaf), mais dans l’interprétation d’une époque, celle de 68, révoltée, punk, mais étrangement absente, une fuite vers l’avant, et un laxisme pervers sur le corps des femmes. Bien que Carole Achache se soit battue pour le droit à l’avortement, elle concède le viol répété de sa fille dans une moue acceptative glaçante, parlant de « malédiction » dans la famille, une fatalité face à la toute-puissance de l’homme. Mona Achache réussit donc l’impensable, bouleverser sans jamais juger, sa position n’est jamais victimaire (alors qu’elle en aurait le droit), et la variation de ses formes (documentaire, audio, reconstitution) épaississent encore un peu plus la tonalité magistrale de cette rencontre tri-générationnelle.

En résumé : Oui Marion Cotillard est formidable, mais la beauté du film réside dans la mixité de ces procédés de mémoire, et une distance désarmante de grandeur sur 3 générations successives de femmes, d’une grand-mère à sa mère et sa fille. 4/5

Little Girl Blue de M. Achache
Sortie le 15 novembre