Créativité maladive : LE LIVRE DES SOLUTIONS
Autobiographique en partie, Gondry revient plus sobrement avec une comédie particulièrement drôle et bien sentie sur le processus de création. Niney joue le rôle d’un réalisateur border et hyperactif en plein montage de son film (qu’il refuse de voir), des milliers d’idées submergent son cerveau bouillonnant, il est imbuvable, se complet dans une forme de loose créative, et pourtant, Marc est terriblement attachant. De la tendresse se dégage de son regard paumé malgré son incapacité maladive et aiguë à établir du lien social (avec sa tante Denise qui l’héberge, ou sa monteuse jouée par Blanche Gardin). Niney se balade, complètement habité et d’une drôlerie implacable, Gardin est très juste en réponse, et malgré un manque d’épaisseur inhérent au burlesque de son sujet, on ne renie pas son plaisir à se marrer gueule ouverte du génie désespérément incompris de Marc.
En résumé : Un Niney au top, un Gondry qui ne trifouille pas trop, c’est efficace, touchant et cette scène du chef d’orchestre déjà culte. 4/5
Le livre des solutions de M. Gondry
Sortie le 13 septembre
Antipathie : LE CIEL ROUGE
On pense tout de suite à Pauline à plage de Rohmer, le fantasme des vacances d’été et le lieu de tous les possibles. Ici, tout se joue en bord de mer Baltique, mais là où Rohmer enferme ses personnages dans une bourgeoisie éclatante, Petzold fait exploser les clichés, brouille les pistes (sur la sexualité et les relations entre les personnages) et s’amuse à retourner une hiérarchie sociale supposée (la vendeuse de glace se transforme en doctorante, l’étudiant en artiste, et l’écrivain en rebut). Son personnage principal, Léon, est antipathique à dégueuler, insupportable petit être hautain, jaloux et représentatif à lui seul des déviances sociales contemporaines. Il ne nous parle que de "travail" alors qu’il n’en fait rien, s’isole et s’aveugle du destin tragique qui se joue devant ses yeux : le feu gagne, la mort rôde, la maladie a déjà investi un de ses proches pendant qu’il ne cesse de sa lamenter sur son triste sort d’écrivain raté. Puissant et stimulant, Le ciel rouge nous interroge grâce à la précision de ses dialogues sur notre tendance narcissiste, ce défaut qui nous centre sur nos malheurs, alors que le seul qui vaille, celui du bien commun (la Terre qui brûle), se joue face à nous dans l’indifférence.
En résumé : Cette grosse tête à claque de Léon rend malade, mais fait aussi réfléchir sur nos propres noirceurs. 3.5/5
Le ciel rouge de C. Petzold
Sortie le 6 septembre
Braquage social : LE GANG DES BOIS DU TEMPLE
Un coup se prépare, un "gang" — qui s’apparente d’ailleurs bien plus à une bande de potos qu’à des gangsters professionnels — s’organise pour braquer le convoi d’un milliardaire saoudien. Ameur-Zaïmeche s’extirpe avec intelligence du film de banlieue manichéen et abrutissant (l’immonde Bac Nord en tête suivi de près du débile Athéna) pour nous parler de ce qui compte vraiment : le lien social dans cette cité des Bois du Temple, la débrouille, une forme romanesque à la Robin des bois où l’essentiel est l’amitié et le soutien sans faille des habitants du quartier. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le personnage prépondérant du film n'est pas un braqueur, mais bien M. Pons, ce vieil homme connu de tous, enterrant sa mère en début de film (dans une scène d’ouverture sublime), pour finir en vengeur flegmatique à la fin. Certaines scènes sont magistrales (la tension dans la boite de nuit entre M. Pons et le prince arabe), et notre regard attristé de cette fin macabre s’en voit grandi, car l’humain est de retour au centre de l’équation. Ameur-Zaïmeche a su combattre le cliché et détourner notre regard : la violence s’éteint face à l’amitié, l’humain prend le pas sur la bestialisation des corps et des actes.
En résumé : Un film "de cité" qui enfin parle du lien social plutôt que des faits divers. Une pléthore de personnages attachants et notamment ce bon vieux M. Pons, clé du récit. 4/5
Le gang des Bois du Temple de R. Ameur-Zaïmeche
Sortie le 6 septembre
Malaise amoureux : L’ÉTÉ DERNIER
Grand film faussement polémique, L’été dernier dépasse son sujet d’allure scabreux (la relation entre une belle-mère et son beau-fils de 16 ans) pour nous amener sur une terre mouvante, grise, où l’amour naïf adolescent et rebelle répond à la machination mesquine adulte. Mais c’est d’abord une histoire de corps, vieillissant et ridé (du père, morphotype du quinqua sur le déclin), rajeunie (l’illumination du visage de Léa Drucker lors des rapports sexuels en cure de jouvence), marqué (le tatouage en preuve indélébile), « si mince » (celui de Théo, joué par Samuel Kircher). Puis du charnel des corps s’installe le malaise de la vérité. Un glaçant basculement intervient alors, l’avenir de Théo s’assombrit lorsqu’enfin il ose pleurer dans les bras de son père, exprimer son émotivité (de sa réflexion en début de film « je ne suis pas très sentiments » à ses larmes ininterrompues), aimer et ressentir la débordante énergie d’un premier séisme amoureux. Au lieu d’être protégé et soutenu, il fait face à la terrible réalité adulte : le mensonge, la manipulation, le calcul pour sauver la face sociale. Il se retrouve trahi et enfermé dans une machination répugnante, incapable désormais de s’extirper d’une histoire sans avenir. Force cinématographique, pesanteur asphyxiante, une Léa Drucker miraculeuse, un très grand film de plomb, habité, hanté, qui ne lâche rien : frontal, noir, magistral.
En résumé : Un film glaçant, des plans somptueux, c’est le film français de l’année côte à côte avec la Palme d’or de Justine Triet. 5/5
L’été dernier de C. Breillat
Sortie le 13 septembre