Y’a quoi au ciné ? La sélection du Bonbon Nuit – Humour noir, caméra d’or et pétard mouillé

undefined 20 septembre 2023 undefined 12h00

Pierig Leray


Humour noir : LES FEUILLES MORTES

On connaît le style inimitable de Kaurismäki, ce pince-sans-rire hilarant et grinçant, ce minimalisme scénique qui épure jusqu’à l’essence son message anti-capitaliste, systématiquement engagé dans une lutte des classes qui se réinvente à travers sa filmographie, mais dont le fond commun reste intact (Le Havre, L’autre côté de l’espoir, ou encore L’homme sans passé). Ici, un homme porté sur la bouteille pour oublier la galère, une femme virée d’un supermarché pour avoir volé, et une rencontre, improbable, mêlée de hasard et de désespoir (ce papier avec un numéro de téléphone qui s’envole en acte manqué). Une romance naît alors entre Ansa et Holappa, sans contact, à distance scandinave. Au milieu, un chien joue les pitres, une radio égrène le nombre de morts de la guerre en Ukraine dans une indifférence saisissante, un concert de pop finlandaise retentit, les néons d’un bar croulant résonnent. Et puis, ce petit miracle qu’est l’amour redonne un semblant d’espoir dans un monde où l’individu a remplacé le commun. Les feuilles mortes semble tout dire en un instant (1h20), saisir la tristesse du monde et s’en amuser d’un doigt d’honneur, un film punk, qui ne se soucie que du présent sans jamais baigner dans l’illusion du futur.

En résumé : Drôle, acide, pamphlet d’une société qui a certes perdu espoir, mais pas son sens de l’humour. 5/5

Les feuilles mortes de A. Kaurismäki
Sortie le 20 septembre


Caméra d’or : L’ARBRE AUX PAPILLONS D’OR

Le traveling d’ouverture inaugure la précision artistique et picturale du film, « un cinéaste est né » comme l’a dit Anaïs Demoustier lors de la remise de la Caméra d’or à Thian An pour son premier long-métrage lors du dernier festival de Cannes. On ne peut que la suivre tant chaque scène semble imprégnée d’une divine maîtrise, quasi déboussolante, la photographie sublime la beauté d’un Vietnam schizophrène entre l’enfer de ses villes et le miracle de sa nature luxuriante. À l’image du personnage principal, Thien, le visage apathique, pantin désarticulé dans une vie robotisée, anesthésié par l’appât matériel, déconnecté d’un monde qu’il pense ardemment cerner, mais dont il ignore l’essentiel (en ouverture de film, un ami ironise et joue l’oracle en lui prédisant qu’un jour il comprendra…). Jusqu’à cet appel qui changera tout (l’annonce du décès de sa belle-sœur), et la responsabilité qui l’incombera (prendre en charge son neveu). Les 3 heures coulent, installent dans une forme presque trop démonstrative la puissance du cinéaste, qui oublie malgré tout de donner du caractère à son message, lisse et peu engageant (en somme, le retour à la nature comme source d’émancipation). Les longs plans fixes de maisons abandonnées lorgnent du côté de Tarkovski, la musicalité de la nature de Weerasethakul, mais les influences ne s’abattent jamais en cache-misère, elles élèvent plutôt un peu plus la maîtrise impressionnante de ce jeune cinéaste.

En résumé : Il faut accepter de s’y paumer, prendre le temps de se perdre dans cet enchaînement pictural grandiose malgré un fond presque trop conventionnel en comparaison à l’ambition de son image. 4/5

L’arbre aux papillons d’or de P. Thian An
Sortie le 20 septembre


Sens de la rupture : DÉSERTS

Une bonne idée étalée pendant 2 heures, ça peut être longuet, répétitif et franchement bancal. La qualité de Déserts est dans son sens de la rupture, la première partie utilise ce duo très frères Coen, deux petits malfrats vidant les poches des plus pauvres dans des villages reculés du Maroc pour tenter de s’extirper de leurs galères personnelles (un mariage qui s’effondre pour l’un, une banqueroute pour l’autre). Les saynètes s’enchainent donc, et l’on craint avoir saisi l’enjeu trop vite. Jusqu’au basculement, et la rencontre avec un malfrat menotté, investigateur d’une nouvelle trame dramatique qui draine le film vers une horizon plus sombre : la révolte gagne, la violence remplace le burlesque, l’aridité du désert prend définitivement le pas sur la chaleur humaine. Le film se termine par l’union de ses deux parties, le duo et le vigilante se perdent ensemble entre onirisme et réalité, des souvenirs hantés refont surface, la vérité froide d’un Maroc corrompu inonde définitivement toute candeur bienveillante. Un gros morceau de cinéma, qui a le mérite de ne laisser aucune indifférence s’installer, un film clivant et perturbant.

En résumé : D’une grande ampleur, presque trop, touche-à-tout entre comédie et dénonciation politique, un film vraiment unique. Ça passe ou ça casse. 3.5/5

Déserts de F. Bensaïdi
Sortie le 20 septembre


Pétard moullié : ACIDE

Sans s’être emballé outre mesure, La nuée, le premier film de Just Philippot, faisait naître un espoir de film de genre à la française en 2021. Et le syndrome du deuxième film a frappé : plus de budget, un acteur bankable dans les pattes (Guillaume Canet), une ambition mal calibrée, et un plantage en règle. Le duo Canet-Munchenbach ne marche pas, rien ne découle de cette relation contrariée père-fille, le montage incompréhensible nous perd et accable une accumulation de clichetons du survival laminé entre Spielberg (La guerre des mondes) et Shyamalan (Phénomènes). La pauvre Laetitia Dosch relève le niveau mais, drame du film, disparaît bien trop vite pour laisser carte blanche au très mauvais Guillaume Canet qui s’imagine en Gilet jaune des basses-cours avec sa tête de macroniste. Frustrant.

En résumé : Foirade intégrale, un budget dilapidé, mal négocié entre un casting foireux et une surenchère d’idée toute pompée ailleurs. 1.5/5

Acide de J. Philippot
Sortie le 20 septembre