Palme d’or : ANATOMIE D’UNE CHUTE
Et une polémique débile de plus, celle autour du discours de Justine Triet lors de la remise de sa Palme d’or (attaquant la mise en danger de l’exception culturelle par le gouvernement Macron), des propos qui seront déformés et caricaturés, entraînant un vent d’indignation absurde et des menaces de boycott de son film. Il faut en espérer tout le contraire, une réussite implacable en salles, et une conquête d’un public large et multiple tant Anatomie d’une chute le mérite par son universalité (la dissection analytique d’un couple à la dérive et la place de la femme plus généralement dans notre société), le brio de sa mise en scène ciselée, millimétrique de justesse, et l’incarnation magistrale de ses acteurs (un trio, entre l’immense Sandra Hüller, la femme suspectée du meurtre de son mari, son enfant malvoyant pièce maîtresse du puzzle judiciaire Milo Machado, et l’avocat de la défense, Swann Arlaud, et sa tonalité vocale si juste). Triet continue son exploration de la porosité entre réalité et fiction, obsession débutante dès ses débuts avec La Bataille de Solferino, mais qui prend ici une ampleur tout autre, dépassant allégrement les balbutiements et maladresses de Sybil et Victoria pour créer un film majeur, d’une maîtrise narrative folle, et qui déconstruit à travers ce pseudo film de procès une femme et ses angoisses (sexuelles, amoureuses, maternelles, professionnelles). En effet, au-delà de son versant judiciaire accaparant l’espace, c’est bien le magnifique portrait d’une héroïne moderne, modèle de bravoure et d’intelligence, qui nous explose à la tronche.
En résumé : Un superbe portrait de femme qui te retourne le bide, et une palme d’or unanime. Obligatoire. 5/5
Anatomie d’une chute de J. Triet
Sortie le 23 août
Humilité : FERMER LES YEUX
Chaque nouveau film de Victor Erice est un événement ; Fermer les yeux n’est que son 4e long métrage en presque 50 ans. Avant lui, déjà deux immenses chefs-d’œuvre et films majeurs de l’histoire du cinéma espagnol, L’esprit de la ruche et Le songe de la lumière. Comment ne pas être dithyrambique face à ce qui restera l’un, si ce n’est le plus beau film de 2023 ? Partant d’un fait divers (il y a plus de 20 ans, un acteur disparaît d’un tournage, et ne donnera plus signe de vie), Erice filme Miguel, ami et réalisateur du film en question, partir à sa recherche. Avec lui, Ana Torrent (que Erice filmait déjà dans L’esprit de la ruche, alors âgée d’une dizaine d’années), compagnonne investigatrice dans cette quête du souvenir et des non-dits. Erice filme la mémoire lointaine et vaporeuse, une nostalgie au départ mortifère (la mort semble inéluctable pour ce disparu) mais qui prend progressivement la forme d’une renaissance. Et puis, à la vue de cet homme hagard et paumé au milieu de nonnes dans un couvent, se matérialise la réincarnation de ce souvenir, de lui, l’espoir et l’apaisement. Tant d’humilité et de tendresse dans la caméra d’Erice qui, à l’instar de son titre, sait se taire, fermer la focale, laisser le temps (plus de 3h de film) à l’interprétation de son spectateur, sans jamais forcer la larme qui viendra naturellement par son dernier plan : une salle de cinéma, et en son sein, une émotion que seule la salle peut créer, intime et partagée, débordante mais contenue.
En résumé : Le plus beau film de l’année mon pote, c’est sublime. 5/5
Fermer les yeux de V. Erice
Sortie le 16 août
Balade nocturne : LA BÊTE DANS LA JUNGLE
C’était déjà notre claque de la Berlinale en février, ce n’est pas maintenant que l’on va se contredire. La bête dans la jungle est un objet non identifiable, beauté plastique et sonore qui nous transporte des années 70 à 2000 en boîte de nuit, et en son centre, le destin d’un amour impossible entre John et May qui s’y joue. Un amour adolescent dans le Sud (la scène d’ouverture et de fermeture du film), un mystère inavouable, un secret en pacte de sang, qui liera John et May ad vitam, incapables de franchir le pas de cette foutue porte de sortie pour enfin avancer. Patric Chiha matérialise l’inavouable (le sentiment amoureux), le refus de grandir (la pesanteur de l’âge et la maturité) à travers un sentiment commun, celui de ne jamais vouloir rentrer, garder l’espoir d’un rebond, d’une sensation nouvelle, d’une rencontre improbable, ou comme ici, de la révélation d’un secret insensé. C’est beau et transperçant, triste et mélancolique, on est bien, nous aussi, à attendre avec eux pendant que l’histoire se joue sans nous, passifs mais heureux.
En résumé : Un after d’after interminable qui te fait commencer au Palace pour finir au Berghain, ça envoie. 4,5/5
La bête dans la jungle de P. Chiha
Sortie le 16 août
Western gay : STRANGE WAY OF LIFE
Dans ce western volontairement ringard et usé, Almodóvar contrecarre le machisme du cow-boy pour filmer une romance de jeunesse entre deux éphèbes aux santiags bien cirées qui se retrouvent, 20 ans après, autour d’un dîner. Au centre de cette réunion, trahison et meurtre d’une femme pour schématiser la dramaturgie d’émotions fugaces et simplistes. Tout est excessif et prend l’apparence d’un roman-photo aux pages moites, à la photographie jaunissante, enfermé trop longtemps au fond du tiroir de la table de chevet ; les décors le sont tout autant, en carton-pâte, des vitrines sans arrière-cour. Ce qui aurait pu être une expérimentation judicieuse glisse vers l’anecdotique. Pire, un goût de caprice s’en dégage, malgré l’audace du geste. Tout s’évapore trop vite, comme un rêve humide, évanescent, les yeux grands ouverts d’un réveil matinal brutal.
En résumé : Plein de panache, mais un brin accessoire ce dernier trip almodóvarien. 2,5/5
Strange way of life de P. Almodóvar
Sortie le 16 août
Trop beau pour être vrai : BANEL & ADAMA
La bande-annonce nous avait enflammé, la réalité est tout autre. Malgré sa très belle photographie baignée de la chaleur d’un soleil couchant ou de la sécheresse de ses herbes hautes, Sy ne trouve jamais son chemin, et se fourvoie dans une accumulation maladroite (potentiellement compréhensible pour un premier film) de thématiques, entre politique, activisme et naturalisme, et oubliant l’essentiel, la poésie de l’image. L’engagement sur le terrain du féminisme et la place de cette femme dans une société patriarcale rétrograde contrebalance avec l’hystérie amoureuse, tout semble brouillon, sans angle ferme, clôturant le film avec une amère sensation de raté.
En résumé : Ne jamais se fier au trailer, soit on y voit tout le film (cf. les meilleures vannes des comédies françaises ou les meilleures scènes d’actions des nanars), ou pire, une pub mensongère : ici, on était venu chialer sur une douceur poétique, on finit sec comme du petit bois à bailler bouche grande ouverte. 2/5
Banel E Adama de Ramata-Toulaye Sy
Sortie le 30 août