Y’a quoi au ciné ? La sélection du Bonbon Nuit – Transcendantalisme, parentalité et métaphysique

undefined 5 juillet 2023 undefined 15h24

Pierig Leray


Transcendantalisme : MASTER GARDENER

Schrader conclut sa trilogie transcendantale (après Sur le chemin de la rédemption puis The Card Counter) avec une nouvelle histoire de rédemption, ici d’un jardinier ex-nazi passionné de botanique (Narvel), et dans son sillage, Maya, une jeune femme toxicomane qui tente de se reconstruire par le travail de la terre. Cette terre que Narvel hume jusqu’à l’aspirer, et piétine de ses pieds nus ; fort de ce symbolisme, Schrader ne cesse de nous basculer entre lumière et obscurité, l’encre indélébile qui marque le corps de Narvel de croix gammées, jusqu’à cette merveille de scène et ses cris libérateurs, la tête hors de la voiture, illuminant la route d’une floraison luisante. Face à cette renaissance, le dépérissement du passé qui les rattrape, la vieille proprio du jardin, Norma (Sigourney Weaver) en garce invétérée qui ne cesse de rabâcher leurs conditions « d’ex ». Schrader, encore au sommet, signe un coup de maître, puissant, vibrant, et finalement d’un espoir inattendu, comme libérateur d’un cinéma à la pesanteur majestueuse.

En résumé : Un mélange de bêche, terre humide, héroïne et nazi, ça sent très fort le génie. 4,5/5

Master Gardener de P. Schrader
Sortie le 5 juillet


Parentalité : CLÉO, MELVIL ET MOI

Arnaud Viard filme le temps lointain du confinement, les rues désertes de Saint-Germain-des-Prés et sa vie de cinéaste, à écrire ses souvenirs (principalement de son père disparu) au milieu de ses enfants, Cléo et Melvil, qu’il garde une partie de la semaine. Au milieu, une nouvelle rencontre, celle de la pharmacienne du coin qui se meut en amour silencieux. Dans ce petit miracle d’à peine 1h10, Arnaud Viard nous parle de nostalgie par l’écriture, de l’appel d’air créé par le confinement qui ne lui a jamais autant offert de liberté dans ce Paris désert s’apparentant à un décor de cinéma nu. Subtil et gracieux, drôle et poignant, il filme le tout petit de nos humanités (une danse, une ex-femme aigrie, un jeu de cartes) pour un film qui dépasse allégrement le mineur de son apparence.

En résumé : Un film qui donne – presque – envie d’avoir des gosses. Fallait le faire. Petit bijou. 4/5

Cléo, Melvil et moi de A. Viard
Sortie le 5 juillet


Métaphysique : LES HERBES SÈCHES

Film méta jusqu’à une hallucinante scène qui sort littéralement du cadre pour capturer notre perception qui peut s’affaiblir au cours de ses 3h30, Ceylan nous invite à un voyage cérébral au milieu d’un village turque enneigé, où va s’engager un duo manichéen : la pudeur et la bienveillance (Nuray, jouée par Merve Dizdar, prix d’interprétation à Cannes) face au cynisme et la laideur (Samet, par le tout aussi formidable Deniz Celiloglu). Ceylan filme le « mal », ce petit être détestable (Samet donc) menteur et manipulateur, truqueur pour séduire, troublant par sa relation ambiguë aux enfants de sa classe (il est prof), dans une détestation systématique de sa vie qu’il imaginait ailleurs, bien loin de cette campagne qu’il méprise. Film fleuve aux scènes de dialogues magistrales, interrogation métaphysique multiple, le film nous perd, peut assoupir puis nous (re)saisir, encore, et ne plus nous lâcher. On sort songeur de ce monument de maîtrise verbale.

En résumé : Film monumental et interrogateur indispensable : accrochez-vous, double expresso bien tassé avant la séance, je vous jure, ça vaut le coup. 5/5

Les herbes sèches de N. B. Ceylan
Sortie le 12 juillet