Une humanité folle : Sur l’Adamant
Ours d’or à Berlin, le documentaire de Nicolas Philibert filme l’Adamant, une péniche de bord de Seine parisienne qui accueille quotidiennement des patients psychiatriques, en leur proposant des animations créatives. Philibert questionne de manière remarquable la position de la folie dans nos sociétés, ces fous que l’on juge et isole étant souvent bien plus lucides que notre dite normalité. Ces "hyper-sensibles" semblent incapables d’évoluer dans un monde extérieur violent et formaté. L’art (brut) est une voie d’accès sublimée dans le film, les témoignages frappent par la pertinence et la distance que les passagers de l’Adamant ont sur leur propre condition, et nous interrogent sur notre regard souvent méprisant sur la marge et la différence. "Le fou" est donc probablement celui qui a refusé de vivre dans ce monde, notre monde réglé, encadré, déshumanisé, désensibilisé. Ils ont ici tout le champ et la parole pour nous confier sans détour leurs pensées conscientes, très souvent poétiques, et nous prouver que la dite folie n’est jamais là où on nous dicte de la voir.
Pourquoi il faut y aller : Documentaire bouleversant, torrent d’humanisme qui remplit le bide d’une émotion débordante de vie.
Mais d’un autre côté… Il n’y a rien à reprocher à Philibert : pas de misérabilisme, à bonne distance, avec respect et bienveillance.
Sur l’Adamant de N.Philibert
Sortie le 19 avril
Une humanité chienne : Chien de la casse
Un village paumé héraultais, deux cassos qui trainent et fument du shit en bande aux abords de le place de l’église, et une amitié en pivot central : un volubile personnage qui prend de la place (extraordinaire Raphaël Quenard) face à la discrétion soumise d’un autre (Anthony Bajon). Et une analogie canine en filigrane, le titre évidemment, le chien de Mirales (Malabar) qui cristallisera le rapport dominant/dominé ou encore le surnom du personnage de Bajon, "Dog". Tout bascule à l’arrivée d’une fille de passage, et un amour éphémère entre elle et Dog, point de rupture qui va questionner en profondeur cette amitié malade. À l’instar d’un couple amoureux en pleine turbulence, c’est un acte fondateur qui rapprochera définitivement ces deux "frères" (le mot est enfin lâché en fin de film) par une manœuvre pleine de bravoure où toutes les interrogations s’oublieront dans un combat final pour l’autre. Très grande tendresse pour ce qui restera l’un des plus beaux films français de l’année.
Pourquoi il faut y aller : Pour ce rapport de force entre deux immenses acteurs de cette nouvelle génération brillante.
Mais d’un autre côté… Peu de défaut, tout y est si fin et intelligent, sans la lourdeur pompeuse que peut malheureusement signer parfois le cinéma français, une forme de pureté dans la lecture de cette amitié déréglée.
Chien de la casse de J.B. Durand
Sortie le 19 avril
Une humanité immigrée : Dirty Difficult Dangerous
C’est une histoire d’amour apatride, un Syrien (Ahmed) et une Éthiopienne (Medhia) à Beirut, une immigration comme toutes les immigrations, forcée, désespérée, finissant dans une prison de peur (Medhia, femme de ménage cohabitant avec un vieux fou sénile qui la violente) et de malheur (Ahmed, victime de racisme, sans toit, dormant sur un matelas au sol payable à l’heure). Par-delà la beauté de cet amour transfrontière qui jaillit au milieu du désespoir, et dans une métaphore imagée par littéralité, le corps meurtri de Ahmed par la guerre syrienne va se transformer, sa chair devenant métal, cette carapace externe souffrante en une armure à la fois impénétrable, mais tombante et dysfonctionnelle, comme si le poids du passé alourdissait encore un peu plus son destin tragique. Mais il reste cet amour débordant, et la caméra de Charaf qui arrive par poésie et humour à nous faire sourire et pleurer avec tendresse malgré le chaos.
Pourquoi il faut y aller : Pour cette histoire d’amour qui échappe à toute forme de fatalité.
Mais d’un autre côté… Le film peut déranger par sa forme abstraite, et presque trop distante sur la gravité de son sujet.
Dirty Difficult Dangerous de W. Charaf
Sortie le 26 avril