Philosophie : EL PROFESOR
On retrouve dans El Profesor l’apparat des grands films, et cette rare capacité à transgresser les genres, jouer avec leurs codes, insuffler dans le potache (une histoire de caca sur un jean) de la philosophie impétueuse, faire marrer du malaise et du cliché (un pauvre professeur chauve face à une rock-star de la philosophie allemande) pour initier une ferveur politique, un engagement puissant du film face à la dictature économique actuelle du président Milei, mais sans jamais s’enfoncer dans une démagogie purulente. Puis ce sont des larmes qui vont nous secouer, celles retenues de Marcelo en deuil d’un collègue et mentor disparu, un vent mortuaire ne cessant de souffler sur le film, jusqu’à la confrontation face caméra (« Qu’est-ce que la mort ? »). Il y a cette nostalgie porteña (le nom des habitants de Buenos Aires, ndlr) qui berce avec une douceur acide la destinée du Profesor Marcelo, la tristesse inconsolable d’un tango et face à elle, la vitalité d’un peuple au bord du gouffre, cette furia de résistance qui amènera Marcelo et ses collègues à investir la rue en manifestation de la fermeture de l’université publique. Il y a dans El Profesor une énergie du désespoir, une force invraisemblable à continuer de se battre, une générosité à la fois d’écriture et de mise en scène qui emporte toute intellectualisation à outrance, un film d’instinct, un film vivant et profondément humain.
En résumé : Un film à 4 mains, et une mixité de genres vertigineuse entre comédie, politique et philosophie dans une mélancolie argentine écrasant la poitrine, avec toujours cette ferveur révolutionnaire de vivre et de résister. À voir de toute urgence. 4,5/5
El Profesor de M. Alché et B. Naishtat
Sortie le 3 juillet
Noirceur : ONLY THE RIVER FLOWS
Récemment, le thriller policier a été détourné pour parler de drame social avec Dominik Moll (La nuit du 12) ou d’amour impossible avec Park Chan-wook (Decision to leave). Shujun se désintéresse rapidement de son intrigue (une enquête policière sur la mort d’une vieille dame en campagne chinoise) pour se soucier du détail, et d’un regard très Antonioni (Blow Up) va s’immiscer dans la vaste quête de la "perception" filmant l’interface (une vidéo, une pellicule photographique, une voix, une chanson) en grande interrogation de la réalité. Qu’est-ce qui est réel ? Le fou est-il vraiment fou ? Idée fabuleuse que de transférer le commissariat dans une salle de l’image (un cinéma abandonné) ou encore d’opposer la probable maladie mentale du futur enfant du commissaire et le fou du village, principal suspect des meurtres. Dans cette noirceur diluvienne (la pluie ne cesse de s’abattre sur une campagne désertifiée), le rêve vient même répondre à la réalité qui n’a jamais semblé si distordue, factice, une réalité factuelle à mille lieux du réel, impalpable, bridé par la multiplicité des interfaces noyant (nombreuses scènes immergées) volontairement toute notion d’objectivité. Particulièrement subtil, un faux film noir remarquable.
En résumé : De son classicisme policier, Shujun en dit beaucoup plus sur la torture de l’âme et la distorsion de la réalité entre ce que l’on voit et ce qui est, dans un fim noir brillant. 4/5
Only the river flows de W. Shujun
Sortie le 10 juillet
Biologie : HERE
À l’heure où l’écologie devient un non-sujet lors de cette nouvelle campagne législative, et que l’extrême droite la rejette d’un revers de main en traitant l’écologique de démagogue bobo, qu’il est grand et beau de pouvoir apprécier un film traitant le sujet de l’équilibre précaire entre ce qui vit et ce qui interagit comme le fait Devos : avec précision, pureté et économie. Il y a cette photographie qui sublime son cadre végétal, cette mise en scène à rebond naviguant du microcosme au macrocosme, de l’infiniment petit à l’extraordinairement grand et total, de la mousse (mais décrite comme une immense forêt), de l’amour (toujours hors-champ), de la soupe (en élément communiant, et recette anti-gâchis), un parc bruxellois filmé comme une canopée de jungle amazonienne, tout semble dicté par une fulgurante et quasiment absurde beauté de l’instant. Comme si cette parenthèse apaisée ne pouvait exister, comme si l’équilibre brillantissime trouvé par la mise en scène de Devos ne pouvait être réel face à un éco-système qui s’effondre devant nos yeux fermés dans une forme désarmante de naïveté. Et pourtant, Here et son heure vingt sont bien réels, mais trop court, trop fugace pour peut-être vraiment y croire.
En résumé : Un film pur, économe, véhiculant cette noble valeur à travers son regard écologique soucieux et précis, un film singulier, à l’atmosphère pacifique et bienfaitrice. 4/5
Here de B. Devos
Sortie le 10 juillet