Blague belge : AIMER PERDRE
La lose est souvent gagnante (Dumb & Dumber, Wayne’s World, Supergrave), et lorsque son personne principal surfe sur son misérabilisme et cette manie de tout parier pour généralement tout perdre, on s’extasie et on s’enflamme à suivre cette succession d’improbabilités et de scènes déjà mémorables (la sculpture à poil, la partie de dés, la course-poursuite finale). Pas une seconde de répit dans une absurdité typiquement belge, "poelvoordienne" pour citer le grand patron, et qui décrit avec bien plus de finesse que les traits grossiers de son héroïne Armande la galère étudiante sans un rond, la débrouille des petits boulots à la con, les crédits à découvert, le fric que l’on emprunte et ses promesses sans lendemain, la débâcle des amitiés qui flanchent, et les histoires de cœur en bouée de sauvetage. Le comparatif avec les dernières comédies françaises bien ringardos (Les Bodins, Les Tuches), ça pique fort tant les frères Guit réinventent une forme de mixité de genre entre l’humour situationnel et la vanne ciselée à l’américaine, le temps et le silence malaisant à l’anglaise et l’absurdité hyper belge. On se pavane allégrement dans ce patchwork franchement réussi et drôle d’une comédie polyglotte qui défouraille les vieilles vannes de son voisin français.
En résumé : Lose hilarante et délirante, quand la vie ne devient qu’un jeu, c’est certes drôle, mais aussi sacrément misérable. Mais en vrai, que l’on kiffe perdre avec Armande Pigeon ! nouvelle héroïne nationale belge. 3.5/5
Aimer perdre de H. et L. Guit
Sortie le 26 mars
Adiós : CE N’EST QU’UN AU REVOIR et UN PINCEMENT AU CŒUR
On retrouve le génial Guillaume Brac (À l’abordage, L’île au trésor) dans un double documentaire sur les ultimes jours d’une année scolaire, là où se dessinent de simples au revoir pleins de promesses, d’adieux gorgés de tristesse, là où les amitiés se lient ou se délient, où les chemins se joignent ou se distendent, la vie et l’improbabilité de ses destins. Dans Ce n’est qu’un au revoir, c’est une troupe d’écolos en sarouel qui arpentent les murs d’un internat, la naïveté jubilatoire et bourrée d’espérance d’un nouveau monde possible, l’amitié au niveau de l’engagement politique, le combat à hauteur d’un soutien sans faille, ils s’aiment et s’épanouissent dans le terreau d’une adolescence qui s’éteint, et d’un monde adulte en broyeur de rêves qui n’attend que de les aspirer. Puis Brac individualise le collectif avec le portrait de trois jeunes femmes porté par trois drames (la dépression d’une mère, la disparition d’une sœur, la grossesse non désirée) initiant la dureté invisible de vie baignée de douleurs tenaces. Avec Un pincement au cœur, c’est un duo, Linda et Irina, filmant hasardeusement leurs danses tiktokesques, le regard baissé dans le pantalon à trous, le sourire émaillé d’un fer qui éclaire. Et puis un autre drame, celui d’une amitié qui s’étiole, un départ futur (Irina, fille de militaire), et des inavouables émotions, celles qu’elles n’oseront jamais se dire, et pourtant, qui rayonnent, éclaboussent d’évidence par ces regards complices qui disent tout. Pas besoin de grand discours, quand le jeu est retrouvé (très belles séquences sur la plage), l’amitié renait et semble alors indestructible. Du moins, jusqu’à la rentrée prochaine.
En résumé : Chez les babos ou les tiktokeuses, se dire adiós, ça pique le cœur. Et derrière l’anecdotique, des histoires de vie bien plus profondes, qui remuent et engagent. 3.5/5
Ce n’est qu’un au revoir et Un pincement au cœur de G. Brac
Sortie le 2 avril
Fratricide : AU PAYS DE NOS FRĖRES
Le cinéma iranien et ses immenses talents n’ont cessé de faire front face à la dictature islamiste de leurs pays (dernier en date, le formidable Les graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof). Avec Au pays de nos frères, l’angle est unique et singulier : filmer sur trois générations et une trentaine d’années la répression à l’encontre d’une population immigrée déclassée et déconsidérée, les Afghans ayant immigré dans les années 2000 fuyant la guerre entre États-Unis et Talibans. De ces trois histoires générationnelles d’une même famille immigrée naît la progression sordide d’une répression au départ en travail forcé, un collégien devant aider la police dans les tâches les plus ingrates, jusqu’à dix ans plus tard, une femme enterrant son mari dans le plus grand des secrets pour cacher sa mort et éviter d’alerter les autorités sanitaires iraniennes, source d’une expulsion assurée. Le mal propagé s’est infiltré, a corrompu une population souvent aveugle du sort de « ses frères », une population afghane méprisée, traitée en chien errant et sans papiers, aux services de riches investisseurs iraniens d’un côté, de l’armée de l’autre, qui utilise cette chair juvénile en chair à canon dans la guerre en Syrie d’aujourd’hui. 30 ans de répression, 30 ans d’esclavagisme moderne, 30 ans de non-identité, d’obscurité, de mensonges et de clandestinité. Avec Au pays de nos frères, le duo de metteurs en scène Amirfazli et Ghasemi dépeint frontalement, et avec une brutalité sans concession, cette nouvelle violence sociale iranienne qui rabaisse les conditions des immigrés afghans à une sous-citoyenneté rappelant les heures les plus sombres de notre histoire occidentale.
En résumé : Attaquer de front la répression iranienne par le prisme de l’immigration afghane permet de mettre ici en perspective 30 ans de dérive dictatoriale dans un pays perdu dans sa radicalisation. 3/5
Au pays de nos frères de R. Amirfazli & A. Ghasemi
Sortie le 2 avril