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Y’a quoi au ciné ? – Faux-semblant, Paranoïa et Shakespeare

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Pierig Leray


Faux-semblant : SIMÓN DE LA MONTAÑA

Par cette grandiloquente ouverture opératique, Federico Luis impose l’enjeu de son premier long métrage, Grand Prix de la Semaine de la critique cannoise l’année dernière : où est la réalité, quelle est cette frontière invisible entre folie et conscience, entre théâtralité et véracité ? Simón se joint à un groupe de handicapés mentaux, et l’on comprend rapidement et avec stupeur qu’il jouerait l’imitation pour s’y intégrer. Luis est argentin, et à l’image d’un peuple joueur et souvent à la limite de l’indécence narquoise, s’amuse ici à brouiller notre regard qui n’arrive donc plus à discerner le vrai du faux. Les exemples se multiplient où le théâtre pénètre le réel (lorsque Simón et son ami Pehuén se soufflent à la fois des textes de Roméo et Juliette et des réponses aux interrogatoires de psychiatre, lorsque l’amour d’une pièce de théâtre découle dans la réalité, lorsque le jeune Simón cite Hamlet dans les bras de son père, ou encore ce dodelinement de tête que l’on comprend probablement factice…), il n'y a alors plus de vrai ou de faux, une réalité distordue par un jeu incessant de corps et de mots. Jusqu’à ce que, d’un nouveau pied de nez, Luis nous explique avec froide constatation, que tout cela n’a véritablement pas grand sens. Et que l’amour, au départ collectif (Simón se construit un groupe soudé autour de lui, à l’image d’une troupe de théâtre) puis individuel (et son histoire d’amour avec Colo) est la véritable et unique lecture à faire de cette histoire de faux-semblants. Que l’on aime alors ce Simón de la Montaña, lui qui se définit justement par son indéfinition, sa beauté résidant dans notre incapacité à le décrypter !

En résumé : Que de subtilité dans cette théâtralisation des mots et des corps, là où Simón peut nous perdre entre réalité et jeu, il nous emporte par la beauté de son amour indéfini. 4.5/5

Simón de la Montaña, de F. Luis
Sortie le 23 avril


Paranoïa : THE GAZER

Se faire aspirer par ses références et devenir malgré soi une check-list gênante de jeune premier de la classe en Master cinéma est le fondamental danger de tout premier film. Cela peut d’ailleurs arriver même à des cinéastes plus expérimentés (suivez mon regard, The Substance). Avec ce premier long-métrage américain, Ryan Sloane, électricien dans la vie et devenu cinéaste sur le tard, frise le fan-film mais s’en extirpe de justesse par une singularité que l’on retrouve bien plus par sa mise en scène frénétique et engagée que par ses idées déjà malmenées par une floppée d’immenses réalisateurs avant lui. Bien sûr Christopher Nolan et son Memento, ici Frankie est atteinte d’une maladie dégénérative qui lui fait perdre la notion du temps, Lynch par sa beauté étrange, Hitchcock et l’agression à la fenêtre d’un immeuble, Kubrick et cette vague sanguinolente sur une machine à écrire, Cronenberg et l’apparition d’un monstre de chair et d’un appendice très eXistenZ. Et dans ce torrent de références, un amour total pour le cinéma de genre et de l’interstice jaillit, tapisse le film d’une étrange couche de peinture écaillée, à force de gratter les références multiples, on découvre dans ce Gazer peu à peu une identité propre, unique, et cette folle capacité à nous asphyxier, la gorge se noue à force de rythme qui s’emballe, et dans cette course-poursuite aux mystères de la dernière demi-heure, on lâcherait presque une goutte de sueur froide. Un film physique, engagé, qui se dévore et se subit avec un plaisir paranoïaque jouissif.

En résumé : Dans cette litanie de références, Ryan Sloane trouve néanmoins sa place par un sens du cadrage et du rythme bluffants, notamment dans une dernière demi-heure emballante d’angoisse et de mystères impénétrables. 4/5

The Gazer, de R. Sloane
Sortie le 23 avril


Shakespeare : GHOSTLIGHT

Il y a cette famille américaine des suburbs, le père ronchon incapable d’exprimer ses émotions, la mère empathique et la fille rebelle, un drame (la mort du fils), et une porte de reconstruction (le jeu, le théâtre). Avec Ghostlight, on sait exactement où l’on met les pieds, et dans cette route sans embuche, parfaitement où est-ce que l’on arrivera. Mais dans cette trame consensuelle se dégage une douleur authentique, profonde et pénétrante, la mine blafarde d’un père anéanti, d’une mère abattue, d’une fille perdue, un redoutable trio (et bien réel, car parents et fille dans la vie) qui nous scotche et enserre, nous partage cette viscérale blessure qui jamais ne cicatrisera, un apprentissage du vivre avec, d’une forme d’acceptation (et ce fameux procès intenté pour rien), à la fois de la disparition (du fils décédé), et de l’apparition (d’un lien inespéré). Il est certain que les ficelles sont énormes (le lien presque infantile entre le suicide du fils et la pièce Roméo et Juliette, le père prenant place sur scène de son fils disparu), mais que l’on aime les voir se dérouler, avec pudeur et décence, et lorsque les larmes jaillissent, elles semblent curatrices plutôt que destructrices, du drame semble naître l’apaisement, la douloureuse mais bienveillante sensation qu’il n’y aura pas de guérison, que la douleur ne pourra cesser, mais par l’amour et la cohabitation, s’apaiser avec le temps. Ghostlight est bien dans ce judicieux équilibre, entre le poids de l’insoutenable et sa dédramatisation, la lourdeur et l’apesanteur.

En résumé : Même si le film joue dangereusement avec les bons sentiments, il s’en extirpe grâce à une forme de naïveté et d’authenticité bienveillantes. 3.5/5

Ghostlight, de K. O’Sullivan et A. Thompson
Sortie le 30 avril