Miséricorde : LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES
Dans ce conte au départ innocent, la voix majestueuse de Jean-Louis Trintignant nous narre l’histoire d’un pauvre bucheron et d’une pauvre bucheronne, perdus dans la toundra enneigée d’un pays de l’Est européen. Puis Hazanivicius utilise l’image collective du train perçant le brouillard épais. Ce bruit de métal perçant qui nous renvoie irrémédiablement aux heures les plus sombres de l’humanité. Le crissement de la neige et du silence d’une nature innocente se voient ainsi pénétrés par l’horreur, invisible au départ, cachée sous cette tôle noire et fumante. À l’intérieur, des condamnés à morts juifs vers Auschwitz. Puis un miracle, un son qui jaillit, une sonorité pure et baignée d’espoir, les pleurs d’un nourrisson jeté du train. La bucheronne le recueillera, et donnera alors sa vie pour le sauver. Dans ce marasme antisémite où les juifs sont appelés des "sans-cœur", traités en nuisibles à exterminer, ce petit être fera basculer la haine en amour, insufflant alors une humanité là où elle s’est désertifiée, de la vie dans la mort, de l’humain dans l’inhumain. Par ce conte, Hazanavicius nous appelle à écouter plus qu’à voir, écouter les merveilleuses compositions de Desplat, les pleurs, les insultes, la douceur maternelle, le sacrifice paternel, la voix brisée de Trintignant, mais surtout, être attentif au son de l’espoir, celui de l’inaltérable capacité de l’Homme à se reconstruire, malgré les drames les plus insoutenables.
En résumé : Un film qui s’écoute plus qu’il ne se regarde, la voix de Jean-Louis Trintignant, la bande-son d’Alexandre Desplat, le son strident d’un train de l’horreur entrecoupé de l’espoir de pleurs d’un nouveau-né, touchant et sonore. 3.5/5
La plus précieuse des marchandises de M. Hazanavicius
Sortie le 20 novembre
Renaissance : GRAND TOUR
On connaît si bien Miguel Gomes, souvent gonflant par sa fascination colonialiste et sa façade de poseur (Tabou, Les mille et une nuits), avec Grand Tour, il s’élève et prend une tout autre hauteur, celle d’un cinéaste détaché d’ambitions malsaines signant un retour triomphant à une forme de simplicité passant par l’absence et l’effacement. L’absence d’époque (un anachronisme de tous les instants, l’histoire est censée se dérouler en 1918 lorsque les images sont contemporaines), de figuration (dissociation entre la voix off et l’absence des personnages à l’écran, fantômes d’une époque lointaine), de langage (tour de Babel universalisant le mot par la mixité), une absence en dessein d’une transfiguration. Pour Edward, la fuite de son mariage par son "Grand Tour" (voyage de Bangkok à Singapour, de la Chine au Vietnam) le guidant vers un désapprentissage du monde occidental pour finir uni, à terre, aux racines d’un nouveau monde. Pour Molly, la recherche de son amour individuel (Edward donc) dans une quête déraisonnable, presque burlesque (et l’atypisme de son rire) l’amenant alors à reconsidérer cet individualisme amoureux dans une universalisation d’un amour transfiguratif, rendant l’inhabituel en merveille. Dans ce chassé-croisé tantôt coloré, tantôt noir et blanc, la quête est plus belle que son sens, le voyage plus important que sa destinée : un film rare, et faussement radical, épuré et porteur.
En résumé : Dans ce Grand Tour asiatique, il est essentiellement question de renaissance, de désapprentissage par le voyage et l’exil, une reconsidération profonde et magistrale d’un amour personnel devenu universel. 4,5/5
Grand Tour de M. Gomes
Sortie le 27 novembre
Délivrance : LES REINES DU DRAME
Tout est dit dans son introduction, « si tu es de droite ou que tu n’aimes pas les dramas, ce film n’est pas pour toi ». Dans cette histoire lesbienne entre une punk et une starlette à paillettes, le tout raconté par un youtubeur en chute libre, toutes les conventions esthétiques explosent dans un torrent de mauvais goût, de gueuleries criardes, d’un amour toxique qui détourne les codes hétéronormatifs pour s’amuser, à cœur ouvert, à jouer sur des corps mal traités, détournés, en appuyant toujours un peu plus sur l’accélérateur de l’excès. Il y a alors une valeur libératrice, une décharge jouissive d’amour incontrôlé (par Langlois, son réalisateur), incontrôlable (par son duo d’actrices en roue libre, Louiza Aura et Gio Ventura) où rien ne va réellement, et pourtant, tout s’enflamme dans ce revival année 2000 entre La Nouvelle Star et le crâne rasée de Britney Spears, le star-système implosant sous la naissance des réseaux sociaux, et la fin chaotique de la génération boys-band. Mais il y a aussi du cinéma dans Les reines du drame, un cinéma de genre dystopique qui nous renvoie étrangement à celui de Terry Gilliam, et cette capacité assez impressionnante à rendre intemporelle l’image ringarde : en somme, un film qui libère.
En résumé : Excessif, parfois insupportable, souvent génial, une libération pailletée et criarde d’un amour toxique gueulé haut et fort. Ca bouscule, et ça fait du bien. 3.5/5
Les Reines du drame de A. Langlois
Sortie le 27 novembre