Road trip : ON THE GO
Avec ce premier long-métrage espagnol repéré au festival de Locarno, on pense immédiatement à Gregg Araki, et cette obsession du moderne et de l’avant-garde pour dépeindre une génération paumée, sans illusion, caractérisée par une intime sensation de no future. Avec On the Go, il y a du Doom Generation, un sentiment tenace de fin du monde dans ce road trip absurde où une femme se prend pour une sirène, entre vol de bagnoles, trafic mafieux, boite de nuit brûlée et orgie dans une écurie. Dans ce kamoulox invraisemblable, une question centrale, le désir de maternité de Milagros, question existentielle et féminine qui semble presque hors-sujet, ou du moins hors-époque, contrebalançant avec férocité la modernité exubérante du film. Il n’y a plus qu’à se perdre dans cette heure et dix minutes, film-raccourci improbable et volatile dont on ne saisit pas toujours les enjeux, mais qu'il faut sans résistance laisser partir là où il souhaite aller. Point de contrôle ni de maîtrise, mais une très juste sensation d’envol libertaire, un coup de vent frais hors des sentiers tracés.
En résumé : Délire kétaminé et survolté, ça refoule fort le film branchouille, et pourtant, ça s’attaque à la plus vieille des obsessions, le désir de filiation. Un film lâcher-prise. 3.5/5
On the Go, de J. de Castro et M.G. Royo
Sortie le 22 janvier
Introspection : LA VOYAGEUSE
Après son merveilleux In Water, film-flou où Hong Sang-soo nous bouleversait par sa nostalgie et la grande interrogation de la finitude des choses, le voilà prêt à explorer un nouveau territoire, celui du langage et de l’apprentissage. Iris (interprétée par Isabelle Huppert) s’improvise en professeure de français avec une technique bien singulière : faire surgir une émotion enfouie chez son élève et en tirer des phrases à répéter, le savoir provenant alors du cœur, bien meilleure parade de mémorisation que la scolarité d’un texte vide. Et par ces vecteurs fétiches (la musique et la poésie), HSS s’immisce alors dans un questionnement plus universel, notre incapacité à être nous-mêmes, questionnant notre propre singularité (« fatigué d’être quelqu’un d’autre »). Du questionnement naît la révélation, de la révélation la peur et la pitié ; et par la négativité de ces émotions, le pardon, l’acceptation et la recherche d’une paix intérieure. Ce foisonnement thématique et philosophique qui traverse tout son cinéma, HSS en tire de nouveau ici sa quintessence, jusqu’à, sur cette sublime scène finale, nous conjurer de faire fi du passé, vivre le présent, faire une entière confiance au présent sans juger du passé. Iris, dont on ne sait rien (ce qui inquiète fortement la mère de son colocataire), est ici un être volatile, psychanalyste de l’instant et du réel, qui à la fois apaise, heurte et interroge, entre douceur et provocation. Et comme toujours avec HSS, nous touche droit où la certitude n'est pas.
En résumé : Encore une idée géniale du Sud-Coréen, translater le savoir au cœur et non au cerveau, faire de l’émotion le point d’ancrage du langage et de l’apprentissage. Et pourquoi ? Pour enfin se détacher du poids de notre passé. 4/5
La Voyageuse de Hong Sang-soo
Sortie le 22 janvier
Inégalité : APPRENDRE
Après les couloirs d’un service de gynécologie (Notre corps), Claire Simon pose sa caméra dans une école primaire d’Ivry-sur-Seine, et toujours à hauteur, elle réussit cet exploit d’aborder les sujets les plus sensibles (une séquence très forte sur la religion) avec fausse légèreté, les débats entre enfants illustrent à la fois leurs difficultés d’épanouissement, mais aussi le terrible poids extra-scolaire, l’influence déterminante de la famille qui infiltre et se confronte au rythme scolaire. Dans un premier temps, le documentaire peut émouvoir en offrant une illusoire sensation d’universalité éducative, et cette maxime dépassée d’égalité des chances. Mais rapidement, Apprendre va nous torturer le crâne, et nous rappeler violemment le discours de Bourdieu, cette systémique domination de classe qui ne laissera in fine qu’une infime chance d’émancipation à une classe populaire confinée et aux trajectoires prédéterminées par leur environnement social. Une séquence est terrible lorsqu’une école aisée vient à la rencontre de celle d’Ivry : deux mondes distincts qui ne se parlent pas, qui ne cohabitent pas et ne cohabiteront jamais, deux mondes déchirés faisant résonner sur du Chopin une inégalité froide et irrémédiable. Claire Simon le sait, son constat n’est qu’un constat sans solution, l’école c’est la vie, et comme la vie, elle n’est qu’injustice.
En résumé : Il y a certes la douceur caractéristique du cinéma de Claire Simon, mais surtout le froid constat de Bourdieu, une inégalité des chances inhérente à un système éducatif en reflet direct de l’injustice sociale. 4/5
Apprendre de Claire Simon
Sortie le 29 janvier