Sardaigne : L’AVENTURA
Que l’on aime Sophie Letourneur, et son intime capacité à faire naître du quotidien la beauté et la simplicité par la normalité. L’Aventura est la suite logique du formidable Voyage en Italie, petit livret type guide du Routard du parfait couple français en vacances siciliennes, l’italien y est mal ajusté, les grogneries répétées, les fameux problèmes de voiture de loc’, et toute leur farandole de déboires que l’on aime tant détester en vacances. Dans cette nouvelle aventura se déroulant désormais en Sardaigne, débarquent pour compléter le couple Philippe Katerine/Sophie Letourneur leurs enfants, le petit monstre Raoul et la grande sœur chieuse Claudine. Mais là où Letourneur aurait pu se livrer à une copie conforme de son précédent, elle y intègre avec folie et liberté un malin jeu du temps et de la chronologie, la petite famille se raconte pendant les vacances des souvenirs récents d’éléments marquants de leur voyage en cours, il n’y a donc ni passé ni présent, ni souvenirs ni instants, mais une mixité d’une étrange poésie du moment, qui nous rappelle avec tendresse et infinie délicatesse que ce qui compte n’est ni le voyage ni sa réalisation, mais plutôt son fantasme, les souvenirs des détails et leur partage, aussi périlleux soit-il. Et lorsque le cinéma français accouche d’une telle merveille, il faut le scander haut et au fort, et courir, léger et naïf, découvrir sans discussion possible le dernier film de Sophie Letourneur.
En résumé : Letourneur passe encore un cap, celui du jeu du temps qui passe, du montage alterné, un hommage au souvenir, celui qui émerge dans un présent toujours plus agréable lorsqu’il s’émeut du passé. 4.5/5
L’Aventura de S. Letourneur
Sortie le 2 juillet
Canaries : ISLANDS
L’angoisse d’un all-inclusive sur les îles Canaries, le buffet du petit-déjeuner dévasté par des Hollandais en Birkenstock-chausettes, les cours d’Aquagym des mamies aux une-pièce évasé, et puis le professeur de tennis, ex-beau gosse à la mine ravagée par la gnôle et la fête de village. Tom (interprété par le revenant Sam Riley), toujours la tronche enfarinée, lunettes de soleil et revers automatisé pour faire kiffer les vieillards rouillés, va voir sa vie basculer à la rencontre d’un couple d’Américains, Anne et Dave, et de leur fils Anton. À la disparition du mari après s’être bituré la tronche la veille, et dans une tension à la fois sensuelle (entre Anne et Tom) et meurtrière (Où est passé Dave ?), le film joue le trompe-l’œil avec intelligence en aspirant son rythme dans le contemplatif (et la beauté de Fuerteventura), laissant le suspense à sa juste place, mais focalisant son regard là où il mérite d’être encore posé, sur la résilience d’un homme abattu et mort-vivant, subissant une vie de gloire passée (il aurait battu Rafa Nadal), mais à l’aube d’un nouvel espoir. Car du désespoir d’une vie ratée naîtra l’espoir d’une renaissance, celle d’un homme initialement sans but et noyé dans la dépendance alcoolique, réapprenant ce qu’il avait oublié, donner, aimer, soutenir. Et par les amours naissants (pour Anne et Anton), enfin, trouver la salut à une vie qui s’éveille. Mieux vaut tard que jamais.
En résumé : Il y a la tension de la disparition, et la grande question de la culpabilité. Mais là où le film excelle, c’est surtout par son portrait poignant d’un homme qui a tout perdu, et qui tente, malgré la dépendance, de sortir la tête de sa prison dorée. 3/5
Islands de J-O. Gerster
Sortie le 2 juillet
Nouveau-Mexique : IN THE SUMMERS
Dans ce récit familial en 4 temps correspondant à 4 étés, un père fait face à ses deux filles, Eva et Violeta, qu'il verra grandir et évoluer au fil d’un temps qui passe, de physiques qui se transforment, de personnalités qui s’imposent et explosent. Et dans cette fugace chronologie, le père, Vicente, qui semble lui figé dans le marbre de l’absence, un visage qui peine à vieillir, mais une dépendance à l’alcool qui s’affirme, une violence physique et psychique qui grandit, une irresponsabilité adulte qui, été après été, transpire de sa carcasse de macho à gros mots, mais si petit par la lâcheté de l’abandon. Et face à lui, la résilience, une implacable solidarité entre ses deux sœurs, intouchables, écrasantes de dignité, qui jamais n’ont ni lâché leur père négligent, ni leurs vies qu’elles dominent et construisent pas à pas dans la vérité du temps. Et plus les étés défilent, plus la différence est affligeante entre un père mal aimant et des sœurs à la maturité foudroyante. Lacorazza réussit haut la main la rude épreuve du sentimentalisme parental, elle n’accable pas le père, elle n’érige pas ses filles en héroïnes, mais trouve l’équilibre juste et contrôlé entre raconter et toucher, expliquer et démontrer, filmer et supposer. 4 étés défilent au Nouveau-Mexique, et c’est une très belle anti-leçon de vie baignée de sincérité et d’une improbable tendresse.
En résumé : En retenue, Lacorazza filme non pas la fatalité d’une enfance malheureuse, mais sa réaction opposée, la fierté de ces deux sœurs qui ont su s’élever au-dessus de l’absence de figure paternelle. À la fois rude et digne. 4/5
In the Summers de A. Lacorazza
Sortie le 9 juillet