Tendresse : SEBASTIAN
Décrypter le métier d’écrivain a toujours passionné le cinéma (Truman Capote, Las Vegas Parano, Sur la route, The Ghost Writer), souvent par le prisme de l’horreur ou du thriller, créant un pont entre processus créatif et incandescence fictive. Avec Sebastian, film tendre et tout en mesure, Mäkelä choisit l’interaction entre réel et fiction, Max prenant le rôle principal (Sebastian) d’un futur premier roman en tant qu’escort à Londres, son écrit se marie donc à sa vie, ses décisions dictées par la page blanche, et ses rendez-vous incessants avec son éditeur qui l’invective de continuer dans une direction qui commence peu à peu à peser sur sa vie privée. Il y a dans Sebastian une volonté d’amortissement, les scènes de sexe s’additionnent et se conjointent à une lenteur bienveillante, prenant le temps de pénétrer la brillante tête de Max jusqu’à nous confondre, à notre tour, entre son désir fougueux et libéré et un travail d’écriture qu’il ose à peine dévoiler (sa pudeur excessive face à des parents catho est au final drôle, et fort heureusement peu développée). À l’image de Max, un film retenu, docile, qui prend le contre-exemple du drame surjoué à la Andrew Haigh, autre réalisateur britannique (Sans jamais nous connaître), et impose alors une sensation de légèreté d’une carrière décantée par l’engagement du corps au service d’une tête bien faite. Enfin un film queer qui ne laboure pas dans le champ du drame et de la descente.
En résumé : Il aurait été facile de tomber dans le drama de la prostitution et une descente aux enfers mille fois exposée, Mäkelä prend le contre-pied en parlant de créativité, d’amour et de don de soi. 3/5
Sebastian de M. Mäkelä
Sortie le 9 avril
Désœuvrement : TOXIC
Il y a d’abord une saisissante beauté, celle d’un (dé)-cadrage minutieux qui absorbe ses personnages dans une ville désincarnée, immense bunker à la Stalker où le bitume et la tôle jalonnent une cité lituanienne paumée, dépravée, îlot sans espoir où émerge sans aucune raison intelligible une école de mannequinat au milieu de ce no man’s land dépressif. S’installe alors une course à la maigreur (achat d’un vers solitaire, du coton à avaler pour couper la faim, vomi systématique) où les corps font corps à la matière brutale de ce non paysage, une compétition maladive du tour de rein le plus minuscule en quête d’une échappatoire. Et face au désœuvrement, une autre beauté, la photographie froide et métallique qui épouse et confronte les corps de plus en plus blancs, de plus en plus maigres, une photographie magnifiée par le charisme redoutable et la gueule frappée de la jeune Marija, gamine incapable de sourire, inexpressive et pourtant si parlante, le visage de l’espoir déchu, du rêve mort (elle qui boite depuis son enfance, et qui n’a donc aucune chance de s’en tirer). Dans Toxic, on s’émeut de cette beauté virtuose, de ces plans redoutables, mais l’on en a presque honte. Car derrière la mise en scène, le visage de jeunes femmes trompées, violentées, prêtes au pire pour s’en sortir.
En résumé : Le Festival de Locarno a eu le bon œil en dégotant un premier film foudroyant de beauté désœuvrée, les corps maigres se mariant à la déchéance d’une ville morte et dépravée, avec en tragique illusion d’optique, un avenir faussement possible. 3.5/5
Toxic de S. Bliuvaité
Sortie le 16 avril
Expropriation : HARVEST
Dans cette longue fresque civilisationnelle, les grands enjeux du monde moderne sont littéralement exposés à travers un pavillon témoin qu’est ce village sans nom, ces champs et plaines anonymes qui baignent encore dans une insouciance archaïque et naïve, là où les classes se confondent, la propriété est sans frontière, et le travailleur mange encore à la table du seigneur. Jusqu’à ce que le col blanc déboule avec fracas pour revendiquer cette terre qui doit forcément être nommée (un cartographe est recruté pour apposer sur chaque lopin de terre un nom propre, et en priorité, dessiner arbitrairement des séparations bien distinctes à ce terrain encore vierge de délimitations). C’est longuet, et ça pèse une tonne, mais Harvest est renversant car vient sans vergogne, et d’un geste politisé, additionner les grandes thématiques capitalistes de notre monde : expropriation des terres et des travailleurs en faveur d’obscures propriétaires terriens, le terrible constat de la révolte impossible, du droit bafoué, d’une humanité violée par le droit du sol et des frontières, la mise à mort des traditions pour l’uniformisation des coutumes, l’individu en remplacement du groupe, la rentabilité au prix de la paix civile. On a de quoi s’y perdre, et ce conte sans époque peut parfois donner le tournis, mais une fois absorbé, il n’y a plus qu’à saluer ce geste éminemment politique.
En résumé : Certes ça ratisse large, mais Harvest sait saisir avec ardeur et engagement politique les grands maux du capitalisme moderne. 3.5/5
Harvest de A. R. Tsangari
Sortie le 16 avril