VHS : QUELQUE CHOSE DE VIEUX, QUELQUE CHOSE DE NEUF, QUELQUE CHOSE D’EMPRUNTÉ
Comme l’énergie de sa capitale, la force vivifiante du cinéma argentin est dans l’expression sans concession d’une liberté punk et anti-normative, son refus catégorique d’être catégorisé, braver les genres, et détourner la réalité d’un no future en une utopie du possiblement possible. Avec le film de Rosselli et son titre interminable (en doigt d’honneur à l’achat du billet à la caisse, bon courage), la mixité des formes (VHS, caméra de surveillance, caméra épaule, plan fixe, fish-eye) est loin d’être accessoire, mais s’associe au mystère d’un film insaisissable, déroutant, où le passé viendra percuter avec déchéance et violence un présent bringuebalé entre histoires de famille et mafia de loterie, amour souterrain et amour de façade. Mère et fille seront confrontées à un destin silencieux, puis hurlant, celui du secret d’un père disparu, laissant derrière lui un bordel innommable, bien caractéristique de cette Argentine agonisante, mais vivifiante, toujours du mauvais côté et pourtant touchante, perforante, comme cette famille de truands que l’on a envie de défendre, de sauver des eaux qui montent inlassablement jusqu’à l’inéluctable noyade. Il n’y a plus qu’à se perdre dans ce foutoir familial, se laisser ensevelir par le mystère abrupt, et aimer, et défendre la beauté d’un autre cinéma.
En résumé : Qu’il est beau et étrange de se perdre dans les méandres du passé, s’immiscer dans le secret et les non-dits qui bouleversent tout. Un film à part, ailleurs, qui ne semble pas dire grand-chose, et qui pourtant saisit l’essentiel : amour et violence. 4/5
Quelque chose de vieux, quelque chose de neuf, quelque chose d’emprunté, de H. Rosselli
Sortie le 19 mars
Faux-départ : VERS UN PAYS INCONNU
Là où Matteo Garrone nous délivre un film fasciste filmant l’immigration en road trip, et échappatoire pour jeunes hommes en seul désir de cash et de réussite fulgurante en Europe (le détestable Moi, Capitaine), Fleifel en prend le parfait contre-pied en mettant en scène la réalité de la fugue, et principalement son incapacité à sa réalisation. Vers un pays inconnu est un non-départ, un film immobile, enchainé, presque mort-né. En utilisant les codes de Sydney Pollack et les appartements crapuleux aux odeurs de cigarette rances, Athènes à des relent de Manhattan, mais les corps, eux, brassent de l’air, espèrent, mais sont figés dans la réalité : le départ n’est qu’illusion, sa conception inutile, car les chaines sont certes invisibles, mais les boulets bien enchainés aux pieds. Les zoom/dézoom de Fleifel en hommage au cinéma américain mafieux des années 70 dorlotent la photographie bien léchée, mais la vérité, sociale, est quant à elle terriblement violente. Les corps sont accaparés, les âmes asservies, nourries d’un vain espoir, Athènes est une chimère, lieu de départ et de fin dramatique d’un mirage. Un mirage qui passe. Et qui tue. Chatila et son cousin Reda espèreront jusqu’au bout se tirer d’Athènes et rejoindre le paradis allemand, terre promise d’un café qu’ils imaginent ouvrir. Mais la mort est intenable, la mort de l’espoir, la mort d’un autre possible, leur condition d’immigrés palestiniens comme tatouée à des corps accaparés par la douleur, et l’inéluctabilité d’un destin, celui d’être un étranger, hors-sol, hors-territoire, pour l’éternité. Et Fleifel le saisit avec grandeur et pertinence.
En résumé : Film immobile, compressé dans une prison invisible où les corps se démènent mais où, enchainés à leurs destins, ils n’avanceront jamais. Car l’utopie d’un autre monde, d’un autre possible, est un mirage qui asphyxie. 4/5
Vers un pays inconnu de M. Fleifel
Sortie le 12 mars
Vrai départ : BLUE SUN PALACE
Il y a l’amour naissant, celui qui se nourrit d’espoir, de projet, cette excitation qui émerveille et détourne de la dureté d’un quotidien laborieux. Puis la disparition qui bouleverse tout, Didi est assassinée pour une malheureuse poignée de dollars par un déséquilibré. Comment se reconstruire dans un deuil impossible, là où le temps ne guérit plus, le quotidien se transformant en souvenirs intolérables, les murs et les lieux (un restaurant, une salle de karaoké, un box de massage) en écho insupportable à la disparue, une mémoire vivante, et qui hurle son absence. Amy (sa meilleure amie) et Cheung (son amant) plongent dans une détresse profonde, mais étrangement apaisée, une souffrance neutralisée, viscérale et interne, une invisibilité presque irréelle, il n’y a pas de larmes ni de drame, mais une pudeur dans la douleur. Après une vaine tentative de supporter la douleur à deux, la seule option viable sera inévitablement la fuite, tout quitter, ne pas oublier, ce serait illusoire, mais se délivrer des souvenirs qui pullulent, et construire un nouveau possible, hors des murs imbibés des rires de Didi. Tsang réussit donc à traiter de la mort et de son infini traumatisme avec une simplicité et une naturalité faisant tomber les frontières épaisses de la douleur pour tenter l’apaisement par la pudeur, un cinéma de l’épure qui, malgré la mort, finit par créer à sa toute fin, un élan d’optimisme.
En résumé : Dans un cadre apaisé et d’une lenteur bienfaitrice, Tsang filme l’après, ce moment où l’absence de l’autre bouleverse tout, et met à l’épreuve notre capacité à vivre et survivre après un deuil. 4/5
Blue sun palace de C. Tsang
Sortie le 12 mars