[ITW] Lacchesi : “Cette crise sanitaire m’a apporté beaucoup de maturité [...] Depuis, je ne doute plus, j’irai jusqu’au bout.”

undefined 1 mars 2021 undefined 18h47

Lisa B

À l’occasion de la sortie de notre dernier mag' Le Bonbon Nuit 102, l’artiste a fait l’état des lieux sur la situation dramatique, même s’il n’aime pas ce terme défaitiste... « Ça fait trop "méchant covid"… même si j’avoue, je le mets pas sur liste. » Humour, positivisme et ambition : « Cette crise sanitaire m’a apporté beaucoup de maturité, [...] j’ai décidé d’adopter un différent mindset. » 

 
Le Bonbon Nuit : Au-delà de ta carrière de DJ, à quelle fréquence faisais-tu la fête avant la crise et qu’est ce que cela t’apportait ?

Lacchesi : Tout le temps : entre les dates, les évènements qui nous intéressent et les artistes que l’on a envie d’écouter... L’envie de sortir est systématique, c’est une nécessité personnelle et professionnelle. La nuit est notre terrain de jeu. Avant le début de la pandémie; j’avais enfin un rythme de dates régulier et plusieurs gigs à l’étranger de prévus. La scène parisienne était en train d’acquérir un véritable rayonnement à l’international, et puis j’entrais dans l’âge où tu dois faire des choix, savoir ce que tu veux faire de ta vie tout en prenant en compte ce qui la rythme : sortir, rencontrer, découvrir, écouter, danser, voyager... Depuis un peu moins d’un an, la fête a disparu de notre paysage. On se retrouve pour respirer et garder le lien social, mais il n’y a rien de festif. Tout le monde semble engourdi. Passer de l’itinérance et au rassemblement systémique à l’isolement physique et social a été un gros choc.

Qu’est ce qui te manque le plus dans le monde de la nuit aujourd’hui, en tant qu’artiste et en tant que consommateur ?

Les danseurs, la foule, rencontrer des inconnu.e.s... Notre métier, ce n’est pas seulement de la musique, fatalement il manque les gens. Depuis mars dernier, il est difficile de dire que la vie est dénuée de bonheur, mais on s’emmerde. Je n’avais jamais approché l’ennui d’aussi près, ça gangrène lentement l’esprit. Néanmoins je sais que je fais partie des chanceux.ses. La musique est pour moi une passion absolue, mais mon métier je peux l’exercer également le jour, du lundi au vendredi.  Pour certaines communautés, c’est impossible. Je parle de celles pour qui il est compliqué d’être le jour ce que la nuit leur permet de créer, l’épanouissement tout entier leur a été soustrait d’une certaine manière. C’est ça qui est absolument dramatique quand on parle de la nuit. C’est assez déroutant de voir le rassemblement des corps et la liberté de l’esprit n’être que de lointains souvenirs.

Comment combles-tu ce manque ?

C’est un manque impossible à combler. On ne peut pas remplacer le rassemblement physique avec quoi que ce soit fatalement. Je garde la tête baissée, comme tou.te.s les artistes, agent.e.s, promoteur.ice.s, patron.ne.s ou employé.e.s de club, je prépare la reprise et m’accroche tant bien que mal aux souvenirs et aux espoirs. Nous sommes en février et cet hiver les nuits sont très longues et l’aube arrive bien vite. Je ressens une forme d’optimisme, mais aussi de la culpabilité, car bien que portés par un devoir collectif indéniable, on sent qu’on a cessé de vivre. Je passe beaucoup de temps en studio, je travaille sur l’avenir de mon label (Maison Close, ndlr) et le reste de mon temps libre je le passe à parler de musique et de reprise. Tout est bon pour oublier qu’à minuit, on est sous sa couette et non pas sur le point d’aller danser. 

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Quelles conséquences la crise a-t-elle eu sur ta créativité ? Est-ce que l’isolement t’a poussé à produire plus, ou au contraire, ça a freiné ton élan ?

Cette crise sanitaire m’a apporté beaucoup de maturité. Le temps et le recul dont j’ai bénéficiés m’ont plongé dans une dynamique de travail que je n’avais pas auparavant. Au printemps, tu te dis : « Ok, tu sors d’un coma de quelques semaines, maintenant tu fais quoi de ta vie, covid ou non ? » J’ai décidé d’adopter un différent mindset. Je me suis mis à la prod', j’ai rencontré des personnes hyper inspirantes avec lesquelles je travaille aujourd’hui et avec qui j’espère travailler encore longtemps. J’ai toujours eu la chance d’être bien entouré, des artistes motivé.e.s et des acteurs de la nuit determiné.e.s. Tout, autour de moi, me donne envie d’être meilleur à la reprise, de profiter du temps puisque c’est tout ce qu’il nous reste. Depuis cette crise sanitaire, je ne doute plus. J’irai jusqu’au bout. Parce que les artistes, le public, les professionnel.le.s laissé.e.s pour compte, celleux qui portaient la scène avant nous et celleux qui la porteront demain ne méritent pas que l’on flanche. Notre génération a le devoir de rester forte et digne quitte à devenir celle des "oublié.e.s" de la nuit. Il y a un devoir d’héritage immense et fondamental. J’ai la sensation que c’est un sentiment partagé, il y a beaucoup d’envie et de créativité autour de nous. Les promoteurs sont devenus labels, les agences recrutent et se diversifient. Il est temps que le monde réalise que personne ne se lance dans ce milieu par défaut ou fainéantise, que les acteur.ice.s du secteur sont des éternel.le.s enfants inconscient.e.s des enjeux actuels et de demain. Nous sommes déterminé.e.s, uni.e.s et profondément passionné.e.s, alors on s’accroche jusqu’à la reprise – ou tout du moins jusqu’à ce qu’on arrive au bout de notre patience.

À quel point la crise a-t-elle impacté ta situation financière ? Les aides versées par l’État sont-elles suffisantes pour te permettre de vivre correctement – pour ne pas dire "confortablement" ?

Quasi immédiatement. Quand les dates ont toutes été annulées, tous les revenus ont disparu. Il est assez compliqué de ne pas être entièrement dépendant des cachets, surtout lorsqu’on peine à avoir le rythme requis pour bénéficier du statut d’intermittent. Rapidement, j’ai retrouvé des boulots alimentaires dans les bars et la restauration. Ça a aidé pendant l’été, mais à l’annonce du couvre-feu en octobre dernier, beaucoup d’établissements se sont séparés d’une partie de leur staff. Sincèrement, aujourd’hui je vis, l'État a prolongé le fonds de solidarité pour les autoentrepreneurs pour un trimestre, mais ça ne pourra pas durer longtemps. Alors je fais les tours des aides proposées type SACEM, CNM... rien n’est moins simple… Et puisqu’on a évoqué cette dynamique de travail un peu plus haut, tous les moyens humains et financiers sont portés vers la reprise. Alors on remplit le frigo et on roule jusqu’au studio et on s’en contente parce qu’on est obligé de croire que cette situation s’arrêtera à un moment ou à un autre.

Que ressens-tu depuis que tu es privé de ton public ?

Un manque terrible. Je suis un hyperactif, j’aime rencontrer des gens, danser, sortir, sauter partout... Depuis mars, sincèrement, j’ai la sensation de m’engraisser sur mon canapé. Tout est si lent.

Quel message aimerais-tu lui faire passer ?

Gardez confiance, si ce n’est pas en moi, croyez en notre scène incroyable qui n’a pas chômé cette année, mais créé de nouvelles opportunités et préparé l’avenir comme jamais auparavant. Nous dépendons tous profondément de vous et chérissons votre soutien et confiance. Il faut vivre avec la certitude que rien ne sera plus merveilleux que nos retrouvailles. Il faut surtout s’adresser aux très jeunes passionné.e.s de musique électronique : ne laissez personne vous dire que c’est un métier à ne pas faire, que notre secteur n’est pas un « secteur d’avenir ». Le monde veut écouter vos prochaines releases, venir vous voir jouer, venir à vos soirées... Faites péter les démos, faites fructifier vos idées et croyez en vous.

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Comment tenir mentalement face à cette situation ?

Je ne suis pas certain d’avoir la réponse, je ne pense pas que quiconque l’ait. J’ai, comme tout le monde, le moral en dents de scie. Les gens s’étonnent de l’état psychologique alarmant des citoyens dans le monde et plus particulièrement des jeunes. C’est aberrant d’entendre des gens qui ont déjà vécu pleinement les deux tiers de leur vie évoquer des « caprices » au sein de la jeunesse. Les sacrifices sociaux, économiques et humains qui ont été faits la dernière année relèvent de la protection de notre avenir : comment ne pas comprendre qu’il n’y a rien de plus inhérent à la protection de l’avenir que la protection de la jeunesse ? Pourtant, la stigmatisation à notre égard, particulièrement à l’égard de notre secteur professionnel, s’accélère à une vitesse folle. Alors comme tout, la lassitude laisse place à la frustration, qui elle-même deviendra rapidement rage. Notre résilience est preuve d’un grand courage et d’une solidarité impressionnante, ne laissez personne vous retirer cela. Je me rassure en me disant que rien ni personne ne pourra nous empêcher de faire la fête ni d’être heureux.ses, il y a une envie commune de se retrouver très forte et il faut la chérir.

Es-tu confiant pour l’avenir de la fête ? En tant qu’activiste – puisque tu n’es pas seulement DJ/producteur –, agir pour le milieu est-il aussi un moyen de reprendre espoir et de te donner de la force ?

Je le suis parce que je crois fermement en l’abnégation de ses acteur.ice.s. La stigmatisation de notre secteur ne nous a jamais parue aussi forte tandis qu’on a les deux genoux à terre. La situation sanitaire nous impose évidemment de faire un pas en arrière, mais quand notre pays sera débarassé de ce virus, il n’y aura plus aucune excuse valable pour relayer notre culture au second plan. Il est primordial que le public ait conscience de l’implication de chacun.e et des associations dans la lutte pour la reconnaissance des musiques électroniques. Depuis que j’ai rejoint l’association Technopol – il y a un peu plus d’un an –, j’ai rencontré un nombre incalculable de personnes qui ne savent tout simplement pas baisser les bras, c’est hyper inspirant et il faut à tout prix se convaincre que ça portera ses fruits. Sinon il n’y aucun intérêt à se battre.

En ce qui concerne Technopol, d’immenses moyens sont déployés pour rendre la lutte pérenne et nationale. Des antennes sont créées sur le territoire afin de représenter au mieux les professionnel.le.s de nos régions. La précarité qui a découlé de l’arrêt de notre activité a fait tirer la sonnette d’alarme à beaucoup de monde, tout est désormais mis en œuvre à une pérennité de notre activité. Il y a, par ailleurs, beaucoup d’oreilles attentives et certaines institutions paraissent ouvertes au dialogue. Mais il y a – à mon sens – un souci certain de représentativité. La crise sanitaire actuelle empêche évidemment toute initiative pensée les mois ou années précédentes de voir le jour, mais elle a au moins l’avantage de mêler notre discours au débat public. Mais le drame va continuer… D'autres clubs fermeront, d’autres emplois seront perdus, la machine semble déjà lancée. Il faut vraiment que des décisions tombent pour sauver les établissements de nuit.

Il va falloir que la jeunesse demande des réponses et de l’aide. La stigmatisation du milieu semble avoir atteint son paroxysme. Moins on travaille, plus on a la sensation d’être pointé.e.s du doigt, c’est invraisemblable. Évidemment, il est irresponsable, d’une certaine manière, d’organiser des rassemblements. Le problème n’est pas l’intolérance envers notre activité, mais le mépris envers ses acteur.ice.s. C’est révoltant qu’un môme de 20 ans puisse être incarcéré pour suspicion d’organisation de teuf’. J’ai encore du mal à y croire en l’écrivant, sincèrement. À côté, il faut aussi garder un œil sur ce qui est fait, ce n'est pas ce qui a été interdit qui construit l’avenir. Les différents concerts-test prévus, l’exploitation des lieux de plein air promise par certaines municipalités et régions, les manifestations musicales sans accrocs... L’avenir proche repose sur le bon déroulement des initiatives partagées. Il y a plein de belles choses qui se dessinent pour cet été, en espérant encore une fois que les choses aillent en s’améliorant d’ici là !

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