Faisant le constat déplorable que les artistes noir.e.s touchent des cachets toujours bien moins élevés que les artistes blancs, le légendaire Marshall Jeffersron a annoncé arrêter sa carrière de DJ. Le producteur de l’immense tube "Move Your Body - The House Music Anthem" a rapporté à Mixmag plusieurs incidents dans lesquels il a brièvement supposé qu'il avait été traité de manière discriminatoire.
Il évoque par exemple un événement en Allemagne qui a eu lieu il y a quelques années : selon Jefferson, un « DJ britannique blanc de renommée mondiale » jouait au rez-de-chaussée tandis qu’il jouait à l’étage. La très grande majorité des clubbers s’est rendue à l'étage pour y voir Jefferson, considéré comme tête d’affiche de l’évènement. Il a rassemblé environ 4 000 personnes sur le dancefloor, ce qui équivaut à presque la totalité de la capacité d’accueil du lieu. Cependant, la presse a dénigré son set, vantant tous les mérites de l’autre artiste dont il tait le nom. « Est-ce du racisme ? Pas forcément, dit-il avant de préciser, le DJ blanc avait un responsable publicité et marketing derrière lui. Je n'avais rien de tel. Les journalistes ont donc pensé qu'ils pouvaient dénigrer mon set parce que cela n'aurait aucune conséquence. »
La montée en puissance des artistes néerlandais : un fossé s'est creusé
Puis il se rappelle : « À la fin des années 90, les DJ's néerlandais ont commencé à convaincre leur public de remplir des bulletins de vote et les ont envoyés pour être classés dans le sondage Top 100 de DJ Mag . Nous nous sommes moqués d'eux à l'époque, mais devinez quoi ? Ces DJ's hollandais sont littéralement sortis de nulle part et ont commencé à être en tête de ces sondages et à être super médiatisés. Ils ont encaissé un sacré paquet de pognon. Leurs honoraires ont grimpé à une vitesse folle. Encore une fois, ce n'était pas du racisme, car tous les DJ's noirs pensaient que nous étions trop cools pour nous promouvoir comme ça. Cela aurait pu se produire avec des DJ's norvégiens, des DJ's slovaques ou des DJ's croates. Mais les Néerlandais y ont pensé, et l'ont fait, alors ils méritaient sans doute d'encaisser plus d’argent… »
Pour lui néanmoins, il est important de nuancer le racisme de la discrimination. S’il reconnaît s’être questionné plusieurs fois sur le racisme ambiant qui pouvait planer sur l’industrie musicale, Jefferson tente tout de même d'expliquer une tendance au désavantage pour les artistes noirs avec des faits logiques et une pensée économique. « Il faut regarder les chiffres : il y a beaucoup plus de Blancs que de minorités ethniques dans le milieu de la musique électronique. [...] Les Blancs veulent juste voir des héros blancs, tout comme les Noirs veulent voir des héros noirs [...] C'est pourquoi vous paieriez des frais plus élevés aux artistes blancs », explique Jefferson, avant d'utiliser l’exemple de Carl Cox. « Carl Cox a remporté le prix du meilleur artiste dans plusieurs concours de DJ's, seulement grâce à son talent… avant que les Néerlandais ne prennent le relais. Mais si vous vous pensez que Carl fait 250k + par nuit comme certains DJ's blancs millionnaires le font, vous vous trompez. Carl est le DJ noir le mieux payé parce qu’il est le meilleur. Pourtant, il ne peut pas être payé ce que les DJ's blancs sont payés à cause des chiffres. Pas sa faute. »
« La house music est devenue la capitale de la discrimination raciale dans l'industrie de la musique. »
Avec le temps, « la house music est devenue la capitale de la discrimination raciale dans l'industrie de la musique », précise l’artiste, d’un ton plus critique. Cela a à voir avec la montée en puissance mondiale et commerciale du genre EDM ; car seuls les blancs produisent de l'EDM. « Plus rien n’est équitable dans le secteur de la musique house », malgré des audiences qui ne diffèrent pas énormément d’un sous-genre à l’autre. Mais depuis toujours, un « son blanc » se vend tout simplement mieux et tout simplement plus cher, résume-t-il.