Je suis Dj et vous m\'emmerdez

undefined 27 juillet 2018 undefined 16h03

Victor

Dans ce dernier instant de haine, épisode final de voyage au bout de la teuf, il s’agira de vous offrir un bouquet à deux fleurs. Nous savons aisément que le mauvais goût impose ce genre de paire. C’est pour lui, d’ailleurs, que tout ceci fut écrit. Vous ne saurez combien d’insultes ont fusé aux oreilles de votre serviteur mais les nombreux témoignages, les quelques verres offerts, la fracture du crâne et les acouphènes récoltés sont autant de gages de la nécessité de rapporter ce que peuvent vivre vos odieux interlocuteurs dès la journée révolue. Ce qui se trame dans ce dernier épisode est au coeur du jeu pervers de la nuit. Les patrons, videurs, serveurs ne sont que des auxiliaires de vos amusements serviles. Ceux qui vous offrent ces dandinement si ridicules ont l’honneur de pouvoir avancer leurs supposées capacités artistiques. Voyons cela de plus près.


On m’appelle “JB”. Jean-Baptiste, Jean-Bernard ou Jean-Bastien, personne ne sait. On se doute globalement que Jean-Baptiste a statistiquement plus de chances que Jean Bernard, mais qui sait ? Personne n’est à l’abri d’un père alcoolique qui, tout en s’échignant à lever les couleurs du pays tous les matins à 6 heures, s'arqueboute sur le concept de “Nation française” et de “tapettisation de la société”. Il va jusqu’à appeler son fils Jean-Bernard. Ce que j’ai mangé en retour fut d’une sympathie sans concession. Les lancées de purée dans mes cheveux accompagnés par les rires hystériques du gitan du collège furent un credo très répétitif dans mon adolescence. La perversité des jeunes gens de mon bahut m’a forgé, c’est indéniable. Leurs fourberies ponctuaient mon brutal quotidien. Le soir, c’était La Marseillaise la main sur le cœur, la journée, chewing gum dans les cheveux et béquilles dans les cuisses. Voilà comment on devient un adolescent rebelle. Mes cheveux poussaient en même temps que ma langueur envers ce monde et ses insolvables violences. Au lieu d’hériter de la candeur morale de mon père, je m’opposais fermement à lui et ses coups de pompes en portant des t-shirts Nirvana, en fumant du shit paraffiné et en rêvant de tirer au M16 sur tous mes camarades de classe. Un ado en sueur était né. Je passais mes journées aux idées noires à jouer à Zelda, rêvant d’attraper enfin cette connasse de Princesse. La puberté arrivait à grand pas. On ne sait pas ce que l’acné peut provoquer dans un esprit déjà dérangé par des brimades infantiles. Je devenais teigneux, la douleur de mes boutons purulents provoquait des montée de haine que je devais assouvir sur les 6e qui avaient la malchance d’aller pisser en même temps que moi. C’était l’époque de la masturbation vigilante, des Red Hot et du fameux Vodka Get 27 enfilé en douce avant le cours de Madame Thomas, fantasme de toute une classe, rouge d'excitation face aux jupes blanches de la mathématicienne. Passé les boutons, c’est un bouc qui orne désormais ma tronche. Sortir de l’enfer scolaire était un objectif, il fut assouvi avec aisance. La génération des années 80 a su accoucher d’une quantité honteuse de divers techniciens du son aux moustaches grasses, aux nez busqués et aux regards lubriques. J’en fais partie et nos ainés n’ont que des regards méfiants quand ils nous voient arriver.

Je le vois se ramener avec son pas traînant, si énervant. Le type est sponsorisé Quechua, on dirait qu’il sort tout droit du blog “Intermittent ou Randonneur ?”. C’est une sorte de caricature du connard altruiste qui vote écolo et pense que la non-violence, c’est le mode d’expression politique par excellence. Se rebeller, mais pas trop. Voilà sa norme de gros looser qui ne peut pas s’empêcher de fantasmer sur toutes les femmes qu’il croise mais n’ose pas le dire à haute voix parce que c’est “sexiste”. Godamn’, j’aspire ma trace d’une traite, “sniiiiiif”, et il sursaute, il ne m’avait pas vu. « Salut DJ Kestuf » qu’il me dit avec sa voix forcément en accord avec sa manière de se mouvoir. On dirait que quand il parle, même ses cordes vocales se chient d’ssus. Elles n’assument pas d’appartenir à un tel étron humain. Je lui réponds d’un claquement de lèvre. J’adore ça, l’humilier, et je sens sa rage à chaque réponse lapidaire. C’est sur que comparé à moi, ce type est aussi utile qu’un supporter italien à Moscou. Il me fixe avec ses larmiches au fond des yeux, celles qui me donnent encore plus envie de le victimiser. Mais je ne dis rien et m’enquière avec innocence de son état. « Alors, la famille, les amours, c’est comment J-Beeey ? » Il grommelle que « pour la cinquième fois », il n’a « pas de copine ». J’entends un grognement de plus, « ça ne risque pas de changer ». J’éclate de stupeur : « comment ? » Il lève la tête, presque surpris. « Putain, mais écoute moi ça Jess’ ! Jean Bernard n’a pas d’meuf ! C’est ton moment ! ». Au bout du bar, Jessica éclate de rire. Mon technicos, cramoisi par un mélange de haine à mon égard et de honte pour ses pulsions malsaines envers notre barmaid, s’échappe d’un bond de la scène.

Et voilà ! Ce chien de DJ m’a humilié une fois de plus. Ce connard arrogant sait toujours comment me faire passer pour un abruti. Cette fois-ci c’est allé trop loin. D’abord, comment ce petit fils de pute connait mon prénom ? Pour sûr, le rital aux commandes a dû lui filer en échange d’un gramme de C ! « Il parle tout seul non ? » C’est Jessica qui vient de parler. Cette fille, je l’aimais bien au début. Elle semblait gentille et honnête. Mais là, j’ai parfaitement entendu son rire ! Comment fait-il ce bâtard prétentieux ? Avec sa grande gueule, il est toujours à me sourire et chercher mon malaise. Pour sûr, je le dégoûte. Mais elle, son corps, ses yeux, sa tête, elle provoque en moi des sentiments invivables. J’ai un tank au fond du bide quand elle me fixe gentiment. Et je passe souvent pour un abruti parce que j’ouvre ma bouche baveuse et oublie ce qu’elle vient de me dire. Mais elle, elle ne se moque pas. Elle sourit doucement et me répète « y’a Kestuf qui t’appelle ». Les emmerdes reviennent. Je dois me soumettre à sa supériorité musicale. Ce pauvre Dj est censé être un artiste, fixé par des yeux transis de sensualité à chaque set alors qu’il passe des disques d’un air sérieux. Il ne sait rien installer lui, il ne sait pas comment ça fonctionne. Lui, il n’a jamais rien créé mais voilà, au sein de notre antre étrange, celui qui organise et permet la musique, celui qu’on appelle “ingénieur” est relégué à l’ombre de la nuit. Personne ne m’a jamais remercié ici. Personne ne m’a jamais considéré. Kestuf ose prendre sa drogue d’un air glorieux devant tout le monde, il saute la femme du patron en toute quiétude et m’harcèle au quotidien par ses blagues douteuses sur ma transpiration et mes bafouilles. Parfois, comme au lycée, je rêve d’un joli canon sur sa gueule, du sang sur ma veste, les cris de Jessica et ses vêtements déchirés. Mais tout cela n’est qu’illusions, qui explosent toujours d’un coup. Un coup sur ma nuque. Une nuquette exécutée par Kestuf, qui, hilare, fait un clin d’oeil à Jessica. Elle pouffe en se mettant la main sur la bouche. Je reste interdit.

Staaaarf’. Steve est en zonz. Encore une fois, j'suis en dèche. Pourtant, tout est sensé tourner comme sur des roulettes. Ici, le patron “El Ritalos” croit tenir les manettes parce qu’il a les écrans des caméras dans son bureau. Pauvre bouffon, DJ Kestuf’ c’est l’boss de cette boîte. Résidant attitré depuis 8 ans, j’assure constamment des sets d’une envergure maléfique. Je me retrouve avec des ados suants qui me caressent moitement les épaules en me félicitant. Je les dégage toujours d’un glaviot bien placé dans la lucarne, enfin l’oeil… Bref, aujourd’hui, c’est la panne généralisée. Même si mes vannes sur le randonneur qui s’occupe du branchement des enceintes sont assez aiguisées, que cette jolie mais imprenable Jessica semble adorer reluquer mes biceps taillés à la piscine, ce connard de Steve semble s’être encore fait chopper par les flics. Ces bâtards de condés n’ont de cesse de nous harceler alors qu’on essaye de faire notre blé de la manière la plus honnête possible. Ils savent pas eux, ce que c’est qu’le charbon. Z’ont jamais connu la fête, la vraie. La dernière fois qu’ils ont découché, c’était quand la France était en finale de la Coupe du Monde. Putain, quand t’as pas teuffé depuis 2006, tu m’étonnes que tu veux chopper tous ceux qui prennent des rails jusqu’à sept heures du z’bard… « Eh l’zadiste, qu’est c’tu branles, ma platine est toujours pas sortie d’sa boîte ? T’as cru qu’on allait taper du jembé comme à Nuit Debout ce soir ou quoi ? Mais bouge-toi l’cul mon vieux ! » L’autre susceptible grimace à m’écouter et ne dit rien. Faudrait qu’il s’détende un jour ce pauvre type. Celui-là, avec ses chicos sales et sa mauvaise mine, il fout la poisse. Faudrait obliger l’avortement pour ce genre de gars.

Un truc vient de lâcher en moi. Cette blague, c’est sûr, aurait pu faire ricaner plusieurs connards à lunettes. Pourtant, j’ai trop ruminé. Ce chien, Kestuf, doit payer.

D’un coup, je sens qu’on m’étrangle ! Du coin de l’oeil, je vois un bouton d’acné sur le point d’exploser. Pour sûr, c’est l’fan de Tryo qui m’étrangle avec un câble XLR ! Je sens son haleine horrible, un mélange de soufre et de fraise tagada, ça me soulève le coeur. Pourtant, impossible de gerber, il continue à m'asphyxier en m’injuriant. J’entends les cris de Jessica, me rappelle que si j’crève, je vais m’chier dessus. Quelle pensée de merde avant d’mourir. Pourtant, c’est vrai. J’suis focalisé sur cette foutue idée. Jessica verra son fantasme sexuel pendu à un câble, une crotte dans l’slip. Même si, au fond, ça reste plutôt classe comme mort.