[ITW] Clara Luciani, si t\'avais pas encore compris

undefined 27 juillet 2018 undefined 13h31

Victor

Sans aucun doute, Clara Luciani est une jeune femme d’exception. Il suffit de voir la manière avec laquelle elle dévore des yeux le paquet de biscuits Xtrem qui traîne sur la table de La Maroquinerie lorsque cette interview a été réalisée. Et la manière dont elle refuse poliment d’en manger ne serait-ce qu’une seule miette… Écoutez son premier album, Sainte-Victoire, et vous vous rendrez compte que, pourtant, l’artiste originaire de Marseille va « droit au but », comme elle le dit elle-même. Rencontre, le chocolat à la bouche.


J’ai lu ton interview pour Stylist, et comme apparemment c’était ta première couv’, ils ne t’ont parlé quasiment que de ça. Du coup, ça fait quoi de faire ta deuxième couv’ ?

(Rires) C’est la troisième en réalité !

Jamais deux sans trois, tu connais…

Eh bien je suis très flattée d’être en couverture du Bonbon Nuit ! (Sourire) Pourtant, être confrontée à des photos de moi n’est pas la chose qui me rend la plus heureuse du monde, mais là je trouve ça cool parce que ça me permet de faire découvrir ma musique et c’est ce qui compte je pense.

Pourquoi ça ne te rend pas heureuse d’être médiatisée comme cela ?

Si je pouvais me tenir loin des photos de moi, je serais un peu mieux… Quand il y a des miroirs par exemple, je ne m’arrête pas trop. Ça ne m’intéresse pas tellement.

La société du spectacle ne te plaît pas trop ?

Elle me plaît évidemment mais pour d’autres raisons. Cet aspect-là, je ne le trouve pas du tout attractif. Finalement c’est l’aspect le plus superficiel.

Peut-être le plus obligé aussi…

Oui, et d’ailleurs je le fais ! Mais je ne suis pas le genre de personne qui accrocherait ses couvertures dans sa chambre, ça c’est clair ! (Rires)

Quand est-ce que Clara a pleuré pour la dernière fois ?

Je pleure assez régulièrement. Je fais des vidanges pour renouveler mes eaux (Rires). Parfois c’est parce que je suis juste fatiguée, d’autres fois parce que je regarde un film avec des gens qui se séparent ou qui meurent… Donc peut-être il y a trois jours ! J’étais juste fatiguée… Comme je travaille beaucoup en ce moment et que je suis sensible, je pleure facilement. Mais en même temps je n’ai jamais été aussi heureuse qu’en cette période de ma vie. 

Par rapport à l’album et tout ce qu’il se passe autour ?

Oui, et puis demain on joue à Solidays (l’interview a été réalisée le samedi 23 juin, ndlr) ! Je crois que les concerts, c’est ce qui m’excite le plus et ce qui me rend le plus heureuse parce que j’adore rencontrer les gens. C’est toujours beaucoup d’émotions !

As-tu fait des concerts particulièrement ?

Oh oui, plein ! Notamment ceux du début où j’expérimentais le truc, j’étais toute seule en guitare/voix et je ne pense pas que c’était fabuleux. Ah et puis aussi, l’autre jour… J’ai joué et je me suis pris une enceinte dans la tête, tout simplement… (Rires) J’étais dans le mood, je n’avais pas vu l’enceinte et je suis rentrée dedans. Pour rattraper le coup, j’ai fait une espèce de moon-walk en arrière pour faire genre que tout était contrôlé, alors que clairement pas du tout... (Rires)

Il n’y a pas une vidéo ?

Non, petit filou ! Les gens de devant se sont exclamés genre “Wow, wow !” mais ceux du fond n’ont rien vu, alors ça va… L’honneur est sauf ! (Rires)

Ton histoire me fait penser à celle d’un Dj très connu, Richie Hawtin, sauf que lui il avait carrément pris une enceinte pour la jeter sur une fille dans le public… Peut-être que le star-system peut faire péter des câbles à des artistes, non ?

Je suis hyper préservée de ça pour le moment, et ça me va très bien. Ça va bien avec ma personnalité et je suis très heureuse de ne pas avoir fait le buzz. Beaucoup de carrières se construisent comme ça, avec de la visibilité qui explose d’un coup mais qui dure malheureusement peu de temps. Je crois que ça pourrait me rendre folle. En revanche, faire ce que je fais, c’est-à-dire construire brique par brique quelque chose que j’estime être solide et honnête. Cela fait quand même six ans que je suis à Paris et que je construis mon truc, que je me cherche et que j’ai l’impression de me trouver. Je pense être dans quelque chose de sain qui, justement, me préserve de ce star-system comme tu dis.

Et puis tu as commencé très jeune aussi, à 19 ans, avec La Femme… Ça a dû te forger !

J’étais un bébé ! Le groupe m’a dépucelée avec la scène, ça a été violent et déterminant. Je me suis retrouvée propulsée avec un groupe complètement génial et il fallait que j’assure, que je sois là. Ça a été un élément hyper important dans ma vie. C’était le début du groupe mais il y avait déjà eu Sur La Planche, qui est un tube énorme, donc j’arrivais à un moment où le groupe était déjà identifié, il y avait pas mal de monde aux concerts…



Pourquoi t’es-tu séparée d’eux ?

Parce que j’étais interprète dans La Femme. Sauf que j’ai toujours voulu écrire et chanter mes chansons.

C’est quoi la journée type d’une Clara Luciani quand elle n’est pas en tournée et qu’elle ne doit pas gérer des fans insistants, un tour bus sans essence et du matériel qui manque ?

Alors je me lève, je me fais un smoothie au caviar, ensuite je prends un bain au sang de vierge pour conserver l’élasticité de ma peau, après je vais déjeuner avec Arielle Dombasle… L’après-midi, je vais à l’équitation, tout simplement ! Et je finis souvent ma journée par un barbecue à l’Élysée ! (Rires)

Mais attends, toi t’es allée jouer à l’Assemblée Nationale pour la Fête de la musique, pas à l’Elysée… Est-ce qu’il n’y a pas une appropriation un peu, disons, culturelle de la musique contemporaine par le pouvoir politique ?

Probablement. Pour te dire vrai, je ne l’ai pas vu comme ça. J’ai réussi à dépolitiser l’endroit en me disant que c’était un concert gratuit et que les gens, du coup, allaient pouvoir assister à mon concert et ceux des autres sans rien dépenser. Et puis il faisait beau, c’était cool… J’ai complètement oublié l’aspect politique et formel de l’endroit. Je me suis marré en me disant que la mozzarella que je mangeais était celle des contribuables ! (Rires)

C’était même pas une burrata ?

Non, mais c’était une très bonne mozza ! (Le papa de Clara, à deux tables de nous, me le confirme avec un grand sourire) Par contre, il n’y avait pas d’Extrême (des gâteaux avec… )

Ah tiens, tu me fais penser que je vais en manger un… Je les ai vraiment pris au hasard, à la base je voulais des crêpes Waouh mais il n’y en avait plus… Je me suis dit que peut-être, vu qu’on est tous les deux de la génération 90…

Est-ce que tu étais le genre de personne à les décrêper ?

Non, pas du tout ! Quelle horreur ! J’étais de l’école qui la mangeait d’un coup ! J’ai perdu des potes à cause de ça…

Ah, mince… J’ai perdu des points alors…

Dans une interview, tu expliques avoir été très seule pendant ton enfance. Est-ce que cette solitude se retrouve dans ta musique ? 

Ça a forgé ma personnalité dans la mesure où je crois que c’est cette solitude-là qui m’a amené à lire beaucoup, à écrire beaucoup… Il fallait que je m’occupe pour combler l’ennui, en quelque sorte, parce que la solitude c’est avant tout de l’ennui. Après, je crois que cette solitude a créé des failles impossibles à combler et qui font en effet que j’ai une sensibilité qui s’exprime dans mes chansons. Donc, oui, c’est très lié à mon avis. La solitude mais aussi le chagrin ou la souffrance peuvent être des déclencheurs de comportements créatifs. Mais pas nécessairement !

Quelles émotions as-tu traversé pendant l’écriture de ton album ?

En fait, cet album est un vrai processus de guérison, avec le début très compliqué, ce chagrin d’amour où j’ai crû que j’allais mourir, et ensuite reprendre goût à la vie, se redécouvrir, comprendre que finalement j’étais complète sans un homme auprès de moi. Comprendre également ma féminité, comme j’avais envie de la vivre…

Cet album t’a guérie ?

Absolument.

Pas besoin de faire un deuxième album alors ?

Exactement. D’ailleurs si on pouvait arrêter cette interview tout de suite, je vais aller me remettre à la broderie. (Rires)

D’ailleurs personne ne t’attend pour ton concert, quelqu’un pourra bien te remplacer…

Toi, par exemple ?

J’ai vu qu’il y avait un peu d’alcool dans les loges et il s’avère que j’ai une très belle voix quand je suis bourré !

Oh, génial !


“Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences”. Cette citation est d’Arthur Rimbaud. Est-ce qu’elle parle à la poète que tu es ? 

C’est un peu ce qu’on vient de dire. C’est un peu le système de Baudelaire dans Les Fleurs du Mal… Utiliser la souffrance, et même plus que la souffrance, les zones d’ombre et les démons, comme muses. C’est le principe de faire pousser des fleurs sur de la merde, quoi.

“Dieu a créé le monde et est entré en lui”. Celle-ci est d’Henri Miller…

(Elle coupe) Je lis du Anaïs Nin (la compagne d’Henri Miller, ndlr) d’ailleurs ce soir ! C’était une sacrée coquine, je crois qu’ils se sont bien trouvés…

Oui, clairement. Est-ce que la musique, et plus particulièrement la tienne, est une part de la divinité qui est dans le monde ?

Pas du tout. Finalement je crois que je n’ai pas du tout l’impression de créer. C’est tellement personnel et ça relève tellement du journal intime que je n’ai pas l’impression d’inventer mais de transposer musicalement ce que je vis. Du coup, je ne me sens pas créatrice. Ce qui est assez bizarre…

D’autant plus que tu disais vouloir sortir de ta condition d’interprète…

Mais plus parce que c’était nécessaire ! J’avais besoin de faire ces chansons-là… Puisqu’on joue au jeu des citations, je vais te citer l’une de mes préférées : “Tout art est exorcisme”, d’Otto Dix. Je n’ai jamais envisagé la musique autrement que comme ça. Qu’il y’ait des gens qui viennent écouter des chansons, je trouve ça génial ! À la base, ce qui incite ça, ce n’est pas l’envie de créer mais le besoin de me délester des choses qui sont en moi et qui sont trop grandes pour moi. Et le fait de rendre ces choses publiques les exorcise complètement.

Si tu avais une grenade dans la main, où est-ce que tu la jetterais et/ou dans la bouche de qui tu la déposerais ?

Mais c’est horrible ! Franchement, je ne suis pas si haineuse que ça ! La grenade dont parle mon morceau relevait plus de la menace qu’autre chose ! Je n’arrive pas à trouver quelque chose qui me dégoûte au point de le détruire, car toutes ces choses qui pourraient me dégoûter, je les trouve aussi très rigolotes et je ne pourrais donc plus m’en moquer !

Tu viens de Marseille mais tu vis à Paris. Du coup plutôt OM ou PSG ?

Plutôt OM ! Mais pas pour le football, plutôt pour leur devise, “Droit au but”, qui pourrait tout à fait être la mienne. Je suis assez fonceuse et je ne perds jamais de vue ma cible. Cela signifie que je vais dans le sens de mon objectif. Quand je dis que je fonce, cela signifie que je me donne les moyens de mon ambition. Ça ne veut pas dire que je grille les étapes. Je prends grave mon temps en fait.

C’est peut-être la vie marseillaise ça…

Oui, mais il faut ! Je trouve que notre génération va hyper vite, et moi je suis à l’ancienne de ce côté-là. Il faut être sûr de ce qu’on fait et de s’être trouvé avant de faire un premier album. Je voulais être vraiment sûre de ce que j’avais à proposer avant de me lancer.



Si ton album était trois artistes, ça serait qui ?

Egon Schiele pour son rapport au corps ; Annie Arnaud pour la blancheur de son écriture et pour le fait qu’elle ait mis le féminin au centre de son écriture ; et Françoise Hardy pour la voix, droite comme une flèche.

Est-ce que le corps est le réceptacle de toutes les contradictions de notre société ?

Le corps, en tout cas dans cet album, je l’envisage comme Autre. Il est assez distancié par rapport à moi-même et il est quelque chose que je découvre. Quand je parlais tout à l’heure d’expérimenter ma féminité, c’est aussi ça. Cet album, c’est quelqu’un qui regarde son corps nu dans un miroir et qui analyse, comprend et regarde. C’est quelque chose d’assez distant et d’à la fois très proche.

Ce n’est donc pas le corps des autres que tu as découvert ?

Non, c’est le mien.

Il y a un morceau où tu dis que tu ne sais pas être cette femme. Quelle femme ?

Celle qu’on attend que je sois. Tout et son contraire, l’irréalisable. La mère, la putain, la femme-objet, la femme au foyer… L’impossible.

Tu n’es aucune de toutes ces femmes ?

Non. Je suis une jeune femme musicienne.

Est-ce que la chanson chantée en français est à la musique ce que la burrata est à la nourriture, une simple mode ?

Il y a toujours eu de la chanson française, après là il y’en a peut-être plus que d’habitude. Je crois qu’il faut discerner ceux qui le font pour la mode et d’autres qui le font par nécessité et qui sont vraiment attachés à la langue française. Je pense que d’ici quelques années, on aura aucun mal à les discerner. Moi, pour le coup, c’est juste que je ne parle pas anglais et exprimer des trucs qui relèvent de l’intime, c’est beaucoup plus facile en français !

Si tu n’avais pa été artiste, qu’est-ce que tu aurais fait ?

Barbara disait qu’elle aurait été bonne-sœur ou putain si elle n’avait pas chanté. (Rires) Je ne suis pas aussi extrême, donc je crois que j’aurais été pâtissière.